Mausolée de Moulay al-Arabi Darqawi, Bou Brih,Beni Zeroual , à 3H de Fès, Maroc
Par Louis Rinn
(MARABOUTS ET KHOUANS , ÉTUDE SUR L’ISLAM EN ALGÉRIE, chap. XVII, ORDRE PRINCIPAL DES CHADELYA p 233, 1884)
Mouley-Ali-el-Djemal fut un pieux Musulman et un savant théologien, qui acquit une grande réputation de sainteté, par de nombreux actes de bienfaisance et un profond mépris pour tous les biens de ce monde.
Lorsque,
peu de temps avant sa mort, il transmit ses pouvoirs
spirituels à son élève et coadjuteur, Mouley-el-Arbiben- Ahmed-ed-Derqaoui, la
tradition rapporte qu’il lui fit, en ces termes, ses dernières recommandations
:
«
Les devoirs de mes frères consisteront à triompher de leurs passions. Pour
accomplir ces devoirs, ils chercheront à imiter :
Notre
Seigneur Moussa (Moïse), en marchant toujours avec un bâtonNotre Seigneur Abou-Beker et notre Seigneur Omar-ben-el-Khettab, en se vêtant d’étoffes rapiécées (el-mroqa ) ; Djafar-ben-Abou-Thaleb, en célébrant les louanges de Dieu par des danses (Reqs ) ; Bou-Hariro (secrétaire du Prophète), en portant au cou un chapelet (sebha ) ; Notre Seigneur Aïssa (Jésus-Christ), en vivant dans l’isolement et le désert (es-Sahara ).
Ils marcheront pieds nus, endureront la faim, ne fréquenteront que les hommes pieux (es-salhin )
Ils éviteront la société des hommes exerçant un pouvoir. Ils se garderont du mensonge. Ils dormiront peu, passeront les nuits en prières, feront des aumônes ; ils informeront leur cheikh de leurs plus sérieuses comme de leurs plus futiles pensées, de leurs actes importants comme de leurs faits les plus insignifiants. Ils auront pour leur cheikh une obéissance passive et, tous les instants, ils seront entre ses mains comme le cadavre aux mains du laveur des morts. »
____________________
(1) Soit de 1163 à 1214 de l’Hégire.
Il
devait son surnom de Derquaoui à un cherif de ses ancêtres, nommé
Youcef-Abou-Derqa(1).
C’était
un lettré, qui, étant maître d’école à Fez, dans le quartier des Fontaines,
avait suivi les leçons de Mouley-Ali-el- Djemal et était devenu son disciple de
prédilection, puis son khalife et son ami.D’un caractère très doux, d’un abord facile, bienveillant pour tous les malheureux, Mouley-el-Arbi vécut toujours sans se préoccuper des choses temporelles.
«
Le monde, disait-il à ses adeptes, doit être, pour un homme
voué à Dieu, comme les étincelles du feu, qui brûlent, qu’elles soient grosses
ou petites ; que personne de vous ne désire donc l’exercice du pouvoir ni les
biens de la terre, car celui qui aura des ambitions terrestres périra et sera
déshonoré. »
Mouley-el-Arbi
conforma toujours ses actes à ses principes.
«
Il le trouva environné du faste des grands de la terre, et constata
qu’il n’avait plus pour lui le même respect qu’autrefois.
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(1)
Abou-Derqa. l’homme au bouclier.
(2)
Voir la Revue
africaine de
1873, page 37, un article de M. Delpech donnant
le récit de ce soulèvement, d’après un Arabe employé du Bey et, par suite,
ennemi de Derqaoua. On pourra remarquer que le rôle joué par El-Arbi reste
néanmoins conforme à la version que nous donnons ici, d’après les
renseignements recueillis auprès de Cheikh-el-Missoum et d’autres moqaddems
Chadelya et Derqaoua.
Le
cheikh prit alors une poignée de poussière et la jeta au
vent en s’écriant : « Ainsi sera l’avenir de Ben-Cherif ! » et
il rentra au Maroc. Les événements qui suivirent donnèrent raison
à la prophétie du grand maître. »
Lorsque
plus tard, en 1821 (1236-1237 de l’Hégire.) de
graves insurrections compromirent au Maroc l’autorité de
l’empereur Mouley-Sliman (1), et alors que les rebelles avaient
reconnu comme sultan Mouley-Ibrahim : à Tanger, El-Kessar,
Tétouan et El-Arach, Mouley-el-Arbi refusa de se mêler
à ces désordres, empêcha ses Khouan d’y prendre part, mais
leur interdit aussi de prêter leur appui aux partisans de l’empereur.
Mouley-Sliman, prince très pieux et qui, dans sa jeunesse,
s’était fait affilier à l’ordre des Chadelya, fut très irrité de
l’attitude inerte de son ancien cheikh. Il le fit jeter enprison et l’y maintint une année entière. Puis, une fois les troubles apaisés, l’empereur se montra clément et rendit la liberté à Mouley-el-Arbi. Mais celui-ci refusa de partir en disant :
«
Je ne quitterai ma prison que lorsque Sliman quittera le
trône. »
Peu
de temps après, en 1822 (1237-1238 de J.-C.), l’empereur mourait
et Mouley-Ali rentrait aux Beni-Zeroual. Nous ignorons
l’époque précise de sa mort, nous savons seulement qu’elle
suivit d’assez près celle de Si Sliman. Son tombeau est près
de Fez, au lieu dit Zaouiat-bou-Berih, où est la zaouiat El-Harak-M’ta-Mouley-el-Arbi
qu’il avait fondée. C’est un vaste
et riche établissement où la plupart de ses successeurs sont
enterrés.
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(1)
Mouley-Sliman régna de février 1793 au 28 novembre 1822 (soit de
Djoumad-et-Tsani-Redjeb 1207 au 13 Rebia-el-Ouel 1238 H).
Mouley-el-Arbi
avait, dans sa longue carrière, fait de nombreux
disciples ; plusieurs d’entre eux sont devenus chefs de
branches distinctes, dont les adeptes ont conservé, pour la plupart,
le nom de Chadelya ou Derqaoua.
Le tableau ci-après
donne le nom des cheikhs qui ont, jusqu’à ce jour, continué la chaîne
mystique des Chadelya :
A. Branche marocaine (Derqaoua-Chadelya, du Rif ; chef-lieu à Bou-Berch, près de Fez) ; annexes à Tétouan, Tanger, R’omara et peut-être Maghd’ara ;
30, Si Mohammed-el-Bouzidi;
30 bis, Sid E1-Hadj-Abd-el-Moumen-el-R’omari ;
31, Si Mohammed-et-Arag ;
31 bis, Si Mohammed-ben-Ibrahim, mort en 1810 (1255-1256 de l’Hégire) ;
31 ter, Sid Mohammed-ben-Abd-es-Sellem-et-R’omari ;
32, Sid El-Hadj-Mohammed-ould-es-soufi -es-Soussi ;
32 bis, Si El-Habib-ben-Amian ;
32 ter, si Mohammed-el-Miliani ;
33, Sid Abdallah-ben-Chouirek, mort en 1881 (1298-1299 Hégire).
AA. Branche du Tafi lalet marocain (Derqaoua-Cheurfa, de Mar’dara) ;
30, Si Ahmed-el-Bedoui, inhumé à Fez ;
31, Cherif-Mohammed-el-Hachemi-ben-el-Arbi-Cherif-el-Mar’dara,,âgé de 80 ans en 1882 (1299-1300 Hégire) ;
B. Branche algérienne
(Derqaoua-Chadelya) :
30, Mouley-el-Arbi-ben-Attia-es-Sid-Abdallah-Abou-Thouil-el- Ouancherici ;31, Sid Adda-ben-Relam-Allah ;
32, Sid Mohammed-el-Missoum-ben-Mohammed, ordinairement appelé Cheikh-el-Missoum, et chef de la branche algérienne, mort le 3 février 1883 (25 Rebia-el-Oual 1300) ;
C. Branche
tripolitaine (devenue l’ordre
des Madanya modernes)
30, Si Mohammed-Zaffar-ben-Hamza-el-Madani ;31, Si Hamza-ben-Ahmed-el-Madani.
De cette dernière
branche est issue celle des Derqaoua, dissidents de Sidi-Moussa, qui
n’a eu qu’une existence éphémère en Algérie.
Chacune de ces branches se dit autonome et indépendante des autres ; mais, sauf peut-être en ce qui concerne les Madanya, cette séparation n’est pas bien prouvée, et il y aurait, quelque part (au Caire ?) un grand-maître général, ayant autorité sur tous les chefs des branches précitées, que nous n’en serions nullement étonnés, malgré les affirmations contraires qui nous ont été faites. L’histoire, en effet, ne saurait séparer ces différents groupes qui ont conservé les mêmes dénominations primordiales, les mêmes doctrines et la même ligne de conduite que les Chadelya au temps de Mouley-el-Arbi-ed-Derqaoui.
Nous continuons donc
notre monographie de cet ordre, sans nous préoccuper
plus particulièrement de l’une quelconque de ces branches, et
nous ferons ressortir, plus loin, les raisons qui nous font
présenter les Madanya, non comme une simple branche, mais
bien comme un ordre nouveau.
Le personnage qui
mérite le premier une mention spéciale, après
Mouley-el-Arbi-el-Derqaoui, est Si Mohammed- ben-Brahïm, parce
qu’il fut l’un de ceux qui, dans des circonstances graves,
affirma les principes des Chadelya en refusant de jouer un
rôle politique.
Lorsque le pouvoir turc, en s’écroulant avec la prise d’Alger, laissa le champ libre aux vieilles haines des tribus, l’anarchie fut partout. Un nombre considérable de notables étrangers des Hachem, Flitta, Harrar et autres tribus, vinrent un jour trouver Si Mohammed-ben-Brahïm, en son gourbi de l’Oued-el-Abd (Sidi-bel-Abbès), et le supplièrent d’intervenir, de sa personne, au milieu des Musulmans, pour rétablir l’ordre et ramener la paix dans le pays. On lui proposait d’être le grand juge et l’arbitre de toutes les rivalités en présence.
Cette besogne, toute politique, répugnait fort au solitaire, qui fit ce qu’il put pour se soustraire à cet honneur.
Forcé cependant
d’intervenir, il alla s’établir dans la plaine d’Eghris, et, sept
jours durant, il s’efforça de faire comprendre à la foule, assemblée
autour de lui, que le gouvernement de Dieu était le
seul l’unique, que l’homme dût établir sur terre, et que chacun
devait vivre en paix avec ses voisins, sous la direction des gens
de biens versés dans le Coran. Ces prédications ne faisaient pas grand effet
sur les masses, et étaient loin de répondre à ce
qu’auraient voulu les notables, qui comptaient sur l’aide
du saint homme pour constituer, à leur profit, le
gouvernement réel des tribus rassemblées.
Invité à se départir, dans l’intérêt général, de la rigidité de ses principes, et à prêter son ministère à des combinaisons politiques, Si Mohammed-ben-Brahim, pendant la septième nuit de son séjour à Eghris, s’échappa furtivement de sa tente, laissant, sur son tapis, une lettre expliquant sa conduite et les raisons qui le forçaient, lui homme de Dieu, à ne pas s’occuper ainsi des choses temporelles.
On dit que, plus
tard, l’émir Abd-el-Qader, jaloux de l’ascendant moral de
Mohammed-ben-Brahim, partit un jour de Mascara pour
l’enlever, mais que, par suite de la protection divine, il s’égara la
nuit et ne put le joindre. La vérité est que le Derqaoui refusa
toujours son concours à l’oeuvre politique de l’émir, et fut au
nombre de ceux qui, par inertie, entravèrent tous ses projets.
Ce fut Mohammed-ben-Brahim qui nomma moqaddem des Derqaoua Si Abd-er-Rahman-Touti, qui eut un instant de triste célébrité à l’occasion de l’affaire de Sidi-bel-Abbès en 1845 (1260-61-62 Hégire).
Si Abd-er-Rahman
Touti était un fanatique et un ambitieux. Il n’avait recherché
ces fonctions de moqaddem que parce qu’il comptait
que l’organisation puissante d’une association religieuse, en pleine prospérité, lui permettrait
de se recruter des
partisans qui l’aideraient à jouer un rôle politique et à combattre les
chrétiens.
Dès que ses projets
se dessinèrent, Mohammed-ben-Brahim essaya de le ramener
aux vrais principes des Derqaoua; ne pouvant y réussir,
il le révoqua et nomma moqaddem, à sa place,
El-Hadj Mohammed-ould-Soufi -es-Soussi.
Sur ces entrefaites Si Mohammed-ben-Brahim mourut (en 1840 (1) 1255-1256 Hégire) empoisonné, dit-on, par des parents de l’émir. Si El-Hadj-Mohammed-ould-Soufi - es-Soussi, privé de l’appui de son maître, se retira au Maroc avec un autre moqaddem des Douair, Si El-Habibben-Amian.
Si
Abd-er-Rahman-Touti resta alors maître de la situation. Par de fréquents voyages
auprès de Si El-Hadj-Mohammed-ben- Abd-el-Moumen au Rif,
et auprès de Mouley-el-Arbi-ben- Attia, de 1’Ouarensenis, il fit croire à ses partisans qu’il avait l’appui des chefs de
l’ordre.
On sait ce qui arriva
le 21 moharem 1261 Hégire (30 janvier 1845) à
Sidi-Bel-Abbès. Ce jour-là, le commandant supérieur, chef de
bataillon Vinoy, avait été éloigné à dessein du bordj, par les
renseignements, sciemment erronés, de l’Agha
Abd-el-Qader-ould-Zin, vendu aux Derqaoua.
A dix heures du matin, Si Abd-er-Rahman-Touti, à la tête d’une bande composée de 66 individus, couverts de haillons et, la plupart, armés de bâtons « qui devaient à sa voix se changer en fusils, » se présenta à la porte du bordj, demandant à parler au commandant. Le factionnaire refusa énergiquement l’entrée et croisa la baïonnette ; mais il fut renversé et tué, pendant que le chef des rebelles, poussant son cri de guerre, se précipitait dans le fort.
Heureusement la
garnison était sur ses gardes : le commandant de la redoute avait,
en effet, été prévenu, le matin, d’avoir à se méfier et, en moins d’une heure,
50 des rebelles étaient tués.
L’Arabe, qui avait
ainsi prévenu l’autorité française, était précisément un
Derqaoua des plus austères, mais un disciple de Sid El-Hadj-Moharnmed-ould-Soufi
, c’est-à-dire un de ceux qui avaient
toujours refusé de se mêler aux agitateurs.
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(1) Il ne faut pas
confondre ce Mohammed-ben-Brahim avec un cherif du
même nom, agitateur fanatique qui fut arrêté en 1851 (1267-1268 Hégire).
Il se nommait El-Hadj-Moussa-ben-Ali-ben-Hoceïn et devint, plus tard, presque célèbre sous le nom de Abou-Hamar (l’homme à l’âne).
C’était un égyptien
qui, compromis dans une révolte militaire, s’était
réfugié à Tripoli, dans la zaouïa du cheikh Mohammed-Zaffar-ben-Hamza-el-Madani,
de Mesrata, alors grand moqaddem des
Derqaoua-Chadelya et chef des Khouan de l’Est.
Moussa fut affilié à
l’ordre et envoyé en mission au Maroc, vers 1243
(1827-1828 de J.-C.). Deux ans plus tard, après avoir été
arrêté à Mascara, par les Turcs, il arrivait à Laghouatoù il remplit les
fonctions de moueddin à la mosquée des Ahlaf.
L’entrée des Français
à Alger fit sur lui une violente impression, et il ne songea plus, dès lors,
qu’à organiser la résistance contre nous, et à
prêcher la Guerre Sainte.
A Laghouat, l’influence
prédominante des Tejanya et le bon sens de Ksouriens
firent justice de ses déclamations violentes et comme on ne se sentait
nullement menacé, on mit l’énergumène en
demeure de quitter la ville.
Il se rendit alors
auprès du cheikh Derqaoui Mouley-el- Arbi-ben-Attia-et-Ouancherici,
espérant trouver, auprès de ce chef spirituel,
l’appui qu’il désirait. Mais il fut fort mal reçu.
Après une discussion fort vive, Ben-Atia lui rappela ces paroles de Mouley-Arbi-el-Derqaoui : Personne ne désirera le pouvoir terrestre qu’il ne périsse. » « Dieu, ajouta le cheikh, m’a découvert tous les troubles qui doivent arriver sur terre, depuis mon siècle jusqu’à la venue de Aïssa (Jésus-Christ). Je n’ai vu personne de notre confrérie devenir puissant en ce monde....
Or, tu as tellement à coeur le désir de te faire une situation politique, que tu es sorti de la voie des Soufi , et que tu te conduis d’une façon contraire aux règles de notre ordre. »
Au lendemain de cet
entretien, plusieurs des partisans de Si Moussa
l’abandonnèrent pour rentrer dans la voie dirigée par Ben-Atia.
Cela ne découragea
point Si Moussa, qui continua à recruter des
partisans et à se poser en chef d’ordre. En 1833 (1248-1249 Hégire) il
s’alliait, à Blida, avec El-Berkani, le lieutenant de l’émir,
et marchait, en 1834 (1249-50 H.) sur Médéa, où il entrait
après quelques difficultés.
Peu de temps après,
il eut à Ouamri, avec l’Émir Abd-el-Qader, une entrevue à
la suite de laquelle, humilié dans son orgueil, il se
déclara l’ennemi de l’émir, et lui offrit le combat (1835 — 1250-1251
Hégire).
Si Moussa fut complètement battu, ses partisans massacrés, et il échappa seul, avec une dizaine de cavaliers. Il se réfugia chez les Ouled-Nayl, à Msaâd, assurant qu’il avait su d’avance ce qui devait arriver, que Dieu avait envoyé ces peines à ses Fidèles pour les éprouver, qu’ils auraient encore une autre défaite à subir des Chrétiens, mais qu’au troisième combat ils seraient victorieux ; qu’alors un tiers des Français périrait, un tiers se sauverait en France sur les vaisseaux, et que le troisième tiers se ferait musulman.
Ce fut à Msaâd qu’il
organisa son ordre, qu’il partagea les tribus entre ses
deux khalifa : Si Ben-el-Hadj pour le Sud, Si
Kouider-ben-Si-Mohammed, pour le Nord, et qu’il se prépara à une nouvelle levée
de boucliers.
L’arrestation de Si
Kouider par l’autorité française désorganisa le complot ; Si
Moussa, chassé de Msaâd par la colonne Yusuf, s’enfuit
d’abord en Kabylie, chez les Beni-Yala ; puis, en 1848, à Metlili. De là, il passa à Zaatcha où il
fut tué.
Il
existe à l’heure actuelle deux fils de Si Moussa l’un, Si
Bou-Beker, est à la tête de la Zaouïa des Madanya de Laghouat, dite aussi
Derqaoua de Sidi-Moussa ; l’autre, Mostafa, habite
Tunis;
il est professeur d’arabe dans un collège fondé par S. E. le cardinal de Lavigerie et dirigé par les Pères Blancs d’Afrique. Les Madanya forment, aujourd’hui, un ordre absolument distinct et séparé des Chadelya-Derqaoua de Cheikh-el-Missoum ou du Maroc. Le chef-lieu de cet ordre est à Tripoli, ou plutôt à Mesrata.
il est professeur d’arabe dans un collège fondé par S. E. le cardinal de Lavigerie et dirigé par les Pères Blancs d’Afrique. Les Madanya forment, aujourd’hui, un ordre absolument distinct et séparé des Chadelya-Derqaoua de Cheikh-el-Missoum ou du Maroc. Le chef-lieu de cet ordre est à Tripoli, ou plutôt à Mesrata.
Le chef des Madanya a, en effet, rompu complètement avec les traditions d’abstention en matière politique, pratiquées par les Chadelya ; il est devenu, en apparence au moins, l’auxiliaire et le serviteur dévoué du sultan de Stamboul, qui essaie de se servir de ses Khouan pour combattre l’influence des ordres religieux indépendants ou hostiles, comme les Snoussya, Tidjanya, Chadelya purs, Taïbya ou autres. Mais en réalité, les Madanya jouent un double rôle et sont, à la fois, à la solde du sultan de Stamboul et à celle de Si Snoussi. Tout en conservant une autonomie qui facilite leurs intrigues, les chefs des Madanya font surtout les affaires des Snoussya. Le sultan les subit et leur obéit bien plus qu’il ne les dirige. Il y a du reste là toute une question fort délicate qui n’est pas encore bien élucidée : ce qui s’en dégage, toutefois, c’est que les Madanya, qui prêchent « l’union de tous les Musulmans pour l’expulsion des Chrétiens de l’Afrique (et de l’Asie) », sont en fait les alliés et les auxiliaires de Stamboul et de Cheikh Snoussi.
Mais, si on excepte ces Madanya ainsi détachés de la voie des Chadelya, les Turcs ont contre les autres associations religieuses Chadelya dont ils ne peuvent réussi: à disposer, une animosité extrêmement vive et fort ancienne; et c’est surtout vis-à-vis des Derqaoua (ou Chadelya de l’Ouest) que cette animosité est poussée à ses dernières limites.
Pour les Ottomans, pour les Hanéfites et, en général, pour pour tous les Arabes algériens qui ont été plus ou moins les agents du Gouvernement Turc, le terme de « Derqaoui » est absolument synonyme de « rebelle, révolté » et ils dépeignent les adeptes de cet ordre comme des énergumènes insociables,
grossiers et ennemis acharnés de tous les agents d’un pouvoir temporel quelconque.
Voici
comment un fonctionnaire turc, El-Mosselemben- Mohammed,
secrétaire-général (bach-defter) du bey Hassan,
à Oran, défi nissait les disciples de Mouley-el-Arbi : «
Les Derqaoua font parade du mépris qu’ils ressentent pour toute
espèce d’obéissance ; ils ne se réunissent jamais que secrètement et dans les
lieux les plus déserts ; ils vont vêtus de haillons
et parés de colliers de coquillages ; ils voyagent avec de
longs bâtons ou à dos d’ânes; ils font montre d’un grand ascétisme
et ne prononcent le nom de Dieu que dans leurs prières.
»
C’est
ainsi, en effet, que nos agents indigènes nous représentent volontiers
les Derqaoua qui sont toujours, pour eux, des administrés peu souples. Dans le
langage usuel, le mot « derqaoui » a même, communément, le sens de « déguenillé, loqueteux
» en même temps que celui de « rebelle »(1).
____________________
(1)
Dans le dictionnaire pratique du savant et regretté Beaussier, on trouve
le verbe (derqa), avec le sens de : insurger, soulever, révolter (tederqa),
s’insurger, etc.
D’autre
part, des lettrés musulmans présentent le mot derqaoui, comme formé
de l’arabe (reqâa), pièce, morceau, et du préfixe berbère D
, formatif des adjectifs qualificatifs berbères. — Cette formation hybride,
provenant d’un mot arabe jeté dans le moule berbère, n’a rien d’extraordinaire,
étant donné que Mouley-el-Arbi est un Berbère ; mais cette étymologie
ne saurait être admise, un ordre religieux se désignant toujours par
le relatif du nom de son fondateur, ou d’un de ses principaux cheikhs, et non par un accident de costume.
On doit donc rejeter, comme n’étant pas en situation, cette étymologie, de même que les suivantes, qui ont été, tour à tour, mises en avant par des lettrés musulmans :
1° (dorr-perle) (qaouï, grosse), c’est-à-dire science considérable ;2° (darr-lait) (qaouï, fort, abondant), parce que le Prophète a dit : « rêver de lait signifie avoir une science considérable » ou parce que « ceux qui sucent le lait du derqaouisme sont des gens forts et robustes dans leur foi ; »
3° (derq, être caché, voilé), parce que leurs réunions sont secrètes ;
4° (Derqa), nom d’une ville dont Mouley-el-Arbi était originaire, ville qui, depuis, aurait changé de nom. Le nom de cette ville devait alors s’écrire pour donner naissance à l’ethnique
Ces appréciations passionnées sont loin d’être conformes à la réalité des faits ; et nous en avons déjà fait justice, en donnant plus haut un aperçu de ce que pensaient et professaient les principaux grands maîtres, disciples et successeurs de Choaïb-Abou-Median.
Il est bien vrai que l’on rencontre des Derqaoua sales, déguenillés, laissant croître démesurément leurs cheveux et leur barbe, ayant un gros chapelet autour du cou, voyageant un bâton à la main, sans jamais avoir de domicile fixe, et lançant des imprécations contre quiconque prend, vis-à-vis d’eux, des allures autoritaires. Mais ce genre de religieux ambulants et mendiants n’est pas spécial à l’ordre des Derqaoua ; on en trouve d’affiliés à presque toutes les congrégations religieuses : ce sont ou des fous ou des misérables, affectant ces excès de dévotion et d’ascétisme extérieurs, en vue d’exploiter la charité publique. La grande majorité des Derqaoua est loin d’être ainsi : ce sont des gens comme les autres, n’affichant pus d’une façon ridicule ou inconvenante leur caractère de derqaoua, et se bornant à mettre plus ou moins de réserve dans leurs rapports avec les détenteurs des pouvoirs temporels.
Ces
relations doivent, en effet, être évitées le plus possible par
les Chadelya ; un des leurs, Si Abd-el-Ouahab-el-Charani, disait
à ce propos : «
Grâce à Dieu, j’ai toujours vivement regretté de m’être trouvé avec
les grands (émirs, etc.), pour autre chose que quelque question ou affaire de
religion ou de loi, qui fût à approfondir pour le bien de tous ; et j’ai toujours
eu en extrême aversion tout homme de rang élevé que la justice et l’équité
ne guidaient point, m’eût-il s accordé son amitié, et m’eût-il attiré à
me rendre auprès de lui pour quelque prétexte détourné. Car je ne sais pas
assez me défendre contre celui pour lequel j’ai de l’amitié. Et puis, je suis
homme comme les autres ; et ce que je vois faire par autrui, parmi les hauts
personnages, je crains de me laisser aller à le faire.
J’ai
connu un individu qui approuvait tout ce que le prince ou émir avait
en projet, et ne savait se décider à, condamner une action mauvaise, quand
même il le pouvait. Bien plus, il donna des éloges pour des actes d’abstention
inique ; il disait. « Ce n’est pas toi, prince, qui as envoyé ces dures
épreuves aux raias. C’est Dieu lui-même qui les envoie à ses serviteurs. »
Il jetait ainsi le reproche sur Dieu et donnait la louange à l’émir; il blâmait
Dieu et flattait l’émir.
La
grande faute de cet individu était de manger des mets de cet émir,
de ne pas refuser toute invitation. Nous avons connu des fakirs ou simples
soufis qui allaient assister aux repas des émir quand la nécessité l’exigeait,
mais ils n’y prenaient rien des aliments servis.
Tels furent Sidi Mohammed-Ibn-Annan, le cheikh s Abou-el-Haçan-el-R’amri, etc. ; ils emportaient avec eux, dans la large manche de leur vêtement, une galette de pain, et, à mesure qu’on servait le repas, ils ne mangeaient que de leur galette, s’arrangeant de façon que l’émir ne s’en aperçût pas.
Tels furent Sidi Mohammed-Ibn-Annan, le cheikh s Abou-el-Haçan-el-R’amri, etc. ; ils emportaient avec eux, dans la large manche de leur vêtement, une galette de pain, et, à mesure qu’on servait le repas, ils ne mangeaient que de leur galette, s’arrangeant de façon que l’émir ne s’en aperçût pas.
Gardez-vous,
disait le vertueux Ali-el-Khawwas, de fréquenter aucun
des émirs, ou de manger de leur nourriture, ou de rester muets sur le mal
que, dans leurs réunions, vous voyez commettre on paroles ou en actes.
Autrefois,
les pieux et saints docteurs ou savants s’abstenaient d’aller chez
les khalifes ; et si une circonstance impérieuse, ou si un prétexte supposé, les
appelait à s’y présenter, ces docteurs leur donnaient des conseils, les
menaçaient de la vengeance céleste, les gourmandaient, les exhortaient au bien. Aujourd’hui, hélas ! cette manière de
faire n’est plus possible. »
Puis,
Charani raconte qu’un jour, à La Mecque, un saint docteur
nommé Tâous, ayant été forcé de se rendre aux instances du khalife Hischam, qui
désirait l’entretenir, se mit à
apostropher et réprimander le souverain si rudement, que celui-ci
en demeura tout confus et tout tremblant ; et Charani ajoute
: « Lecteur, mon frère, si tu te sens la force d’adresser des
paroles de cette sorte aux émirs, va, fréquente-les; sinon, tiens-toi
loin d’eux. »
L’éloignement
des agents de l’autorité est, en effet, le signe
distinctif du derqaoui, mais, dans la pratique, cet éloignement n’est pas absolu
et n’a nullement un caractère malveillant :
ainsi, nous avons des imams, des assesseurs, des cadhis, des khodja qui sont derqaoua
et ont, avec nous, des relations fort courtoises.
Le
rituel spécial aux Chadelya-Derqaoua ne présente non
plus, en lui-même, rien qui le différencie essentiellement de
ceux des autres ordres religieux.
Lorsqu’un
Musulman veut se faire recevoir derqaoui, il doit
d’abord ne se présenter au cheikh que dans un état parfait de
pureté. Cette condition remplie, le néophyte se tient dans la posture
d’un homme en prière : le cheikh lui prend les mains dans
les siennes et prononce cette courte prière : « Il n’y a pas d’autre
Divinité qu’Allah, Il est tout-puissant, Il n’a point d’associé à sa puissance,
à Lui appartient tout, Il peut tout, Il donne la vie et la mort, répandons nos
louanges sur lui. » Le cheikh Sait alors jurer au néophyte « qu’il se
conformera aux statuts de l’ordre, qu’il aimera ses frères, qu’il évitera le
péché, qu’il fera abnégation de lui-même pour tout ce qui concerne la vie matérielle,
qu’il ne tiendra compte ni des injures, ni des coups, ni de la faim, ni de la
soif, ni de la misère; qu’il ne recherchera pas les satisfactions de la chair,
qu’il s’efforcera de pratiquer toutes les vertus, qu’il s’instruira tout d’abord
de ses devoirs envers Dieu, qu’il accomplira strictement ses ablutions, ses
prières et tout ce qui est d’obligation divine. » Le cheikh remet
ensuite le néophyte au frère profès chargé de l’instruire, et
il lui est permis d’assister aux hadra.
«
Ces hadra(1)
ont lieu les portes
closes et les lumières éteintes, ou, la
nuit, dans des lieux retirés, hors de portée des intrus. Les frères, pour prier,
se forment en cercle compacte, sans solution de continuité. Ils psalmodient: «
Il n’y a de Dieu que Dieu, d’abord sur un rythme lent et en appuyant
fortement sur les longues, puis plus rapidement, et, enfin, sur un
mode précipité ! Lorsqu’ils sont arrivés à un certain état de surexcitation, ils
se lèvent et récitent en donnant au corps un balancement cadencé :
« Allah ! » puis « hou » (lui), puis, enfin, « Ah ! » Pendant ce temps, le nekib
(ou chef de section) tourne autour d’eux en récitant des vers ou des sentences
propres à redoubler l’enthousiasme. Puis, à un signal du moqaddem resté
au milieu du cercle, les frères s’arrêtent, le moqaddem récite des
vers, des oraisons, prononce la formule : « Il n’y a pas d’autre Divinité que
Dieu » et termine la cérémonie par la récitation de la fatiha. »
Le tombeau du Cheikh Muhammad al-Arabi al-Darqawi (Que Dieu l' agrée)
Le tombeau du Cheikh Muhammad al-Arabi al-Darqawi (Que Dieu l' agrée)
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