Lettre
de lecteur
Notes
de lecture (Le Point n° 2218 du 12 mars 2015)
Nous
avons retenu la critique de M. Ali Benmakhlouf concernant l’idée
que se fait Michel Onfray de l’Islam (p.58).
M.
Benmakhlouf remarque justement que M. Onfray « propose une lecture
partielle du Coran (…). Il reprend les arguments des musulmans
radicaux. En agissant ainsi, il se met à leur niveau ; il les valide
même en les présentant comme théologiquement significatif… »
(etc).
Nous
souscrivons tout à fait à cette analyse, et comme M. Onfray est «
philosophe » (auto-proclamé : la France est un pays où il n’y a
plus de profs de philo, mais que des philosophes !!!), nous
ajouterons quelques arguments de synthèse qui devraient le ravir.
Onfray
se proclame fièrement « athée » – c’est son droit – mais
est-ce bien la plateforme adéquate pour parler des choses invisibles
et surnaturelles, comme Dieu, La Foi, le religieux, le Sacré ? Les
croyants aimeraient qu’on leur fiche la paix et que les aveugles
cessent de vouloir parler à tout prix des couleurs (car l’athéisme
est une sorte de cécité, non?), sous prétexte qu’on est en
démocratie et que tout le monde a le droit de parler…
Nous
constatons qu’il ignore les études arabo-islamologiques, ne se
fiant qu’à son grand savoir de « philosophe » (Tout cela nous
rappelle Bernard-Henri Lévy essayant sa dialectique du prêt-à-penser
sur le grand rabbin Josy Eisenberg qui l’écoutait sidéré, lui
avouant : « J’ai 30 ans d’études bibliques et hébraïques ; et
quand je vous entend parler, je suis au regret de vous dire que nous
n’avons pas la même religion » – ce qui cloua le bec à
l’audacieux).
Ce
qui est gênant, c’est que M. Onfray ignore toute pensée
symbolique – ce qui est le cas de tous les philosophes modernes qui
réduisent tout à la pensée mentale la plus plate ; or tout langage
de la Révélation est hautement symbolique (de l’Orient jusqu’à
l’Occident), mais il faut des clés pour cela : ainsi, les versets
(bibliques, coraniques…) ont plusieurs sens, et là où des
générations de savants se sont affrontés, on admire avec quelle
aisance M. Onfray tranche avec l’aplomb souverain de l’ignorance.
Heureux homme, pour qui tout est simple et facile! Sait-il qu’il ne
suffit pas de connaître l’arabe pour comprendre le Coran ? Avec ce
genre d’exégète, on a à faire à un Islam « au ras des
pâquerettes » – c’est-à-dire une lecture littérale et
univoque – comme le font allègrement les Salafistes et autres
fondamentalistes intégristes, fossoyeurs de l’Islam.
Ce
point de vue prétendument objectif et en fait pseudo-scientifique
s’appelle du « réductionnisme », pratiqué par tous ces touche à
tout qui se mêlent de Religion sous prétexte que tout se réduirait
à de la pensée, sous-entendu de la « philosophie ». Un fin
penseur comme Kierkegarde disait : « Les systèmes philosophiques
sont des palais vides que leurs auteurs n’habitent! » – à
méditer… Non, messieurs, la religion ne se réduit pas à de la
spéculation mentale. Comme l’a dit avec beaucoup d’esprit un
invité d’Europe n°1 le 10 mars dernier : « Onfray mieux de se
taire! ».
On
pourrait encore développer longtemps ces questions, mais débattre
avec des « philosophes de profession » devient oiseux. Ils sont
intelligents, malins et pas toujours honnêtes dans leurs
arguties…n’écoutant qu’eux-même et refusant vaniteusement de
se mettre à l’école de ceux qui connaissent et comprennent la
religion de l’intérieur.
Ils
me font penser aux tenants du libre examen (= rejet de la tradition
orale de l’Eglise catholique) où tout le monde se permet
d’intervenir et de dire n’importe quoi, comme si la liberté
d’expression devait remplacer l’étude et la connaissance, dont
se targuent tous ces diplômés : c’est le piège bien connu de
l’intelligence, piège typiquement français. Mais les esprits
forts se gaussent quand les croyants osent se rebiffer!…
P.S.
(28 septembre 2016) :
1°)
Les religions ne sont pas un jeu spéculatif : elles sont
essentiellement une pratique dont l’exercice échappe par
définition à la « philosophie », fût-ce celle de M.Onfray : il y
a des rites, des jeûnes , des fêtes …etc, qui n’ont rien de «
philosophiques »…
2°)Les
religions sont en même temps un « art de vivre », surtout en
Orient : dans l’islam, l’Hindouisme, le confucianisme, le Shinto…
L’Europe chrétienne a dû inventer (tardivement ) les manuels de «
savoir-vivre », de « bonnes manières « …pour compenser cette
lacune originelle. On est frappé en orient de voir comment un
oriental qui a cessé de pratiquer – et qui affiche en Europe des
idées « modernes » et apparemment anti-religieuses – reste
toujours imprégné d’une courtoisie très subtile et guère
saisissable par les européens sans manières ni finesse (cf. les
réflexions très justes d’Alain Daniélou à la fin de son
autobiographie, par ex, à propos du Comte Ostrorog, diplomate chargé
de mission par la France – « Le Chemin du labyrinthe » ).
3°)Enfin,
last, but not least : nous livrons à la sagacité de M.Onfray cette
considérable espièglerie : contrairement à ce que croyait Marx et
ses pauvre thuriféraires, ce ne sont pas les sociétés qui ont
inventé les religions, mais les religions qui ont fondé les grandes
civilisation : imagine-t-on des cathédrales gothiques avant
l’apparition du Christianisme? (1)
Mais
bien sûr, M.Onfray va encore s’en tirer par une pirouette : à la
différence des religions, la parole philosophique est un jeu, un jeu
un peu irresponsable, qu’adorent les Français (comme disait Michel
Vâlsan à propos des Français qu’il aimait beaucoup : »quel
peuple léger, inconstant et frivole » – mais là, quelque cuistre
diplômé va demander : mais qui est ce Michel Vâlsan ?).
J.F.
(1)
cf. le « Théorème de l’incomplétude » de Gödel, repris par
Régis Debray dans sa démonstration – qui nous intéresse – que
: « les sociétés ne peuvent se fonder elles-mêmes »… – cf.
aussi le difficile ouvrage d’épistémologie traditionnelle de
Raymond Mercier ,écrit en collaboration avec Michel Vâlsan :
»Clartés métaphysiques » / Editions Traditionnelles,1971 , p.60.
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