Résumé:
Le Cheikh ‘Alî Jum‘a est l’actuel Grand-Mufti d’Égypte. Cet article se propose
d’étudier son « ijtihâd spirituel
» à travers sa production de fatwas. Le qualificatif spirituel
souligne ici les influences du soufisme sur le discours de ‘Alî Jum‘a. La
méthodologie mise en oeuvre dans ses fatwas est mise en lumière par l’analyse
de grands mystiques soufis qui rédigèrent, eux aussi, des recueils de fatwas.
Il en va ainsi de Suyûtî, d’Ibn Hajar al-Haytamî ou plus près de nous de ‘Abd
al- Halîm Mahmûd. A travers le cas du Cheikh ‘Alî Jum‘a, c’est la vitalité du
soufisme comme source de réflexion sur les problèmes que rencontrent
aujourd’hui le monde arabo-musulman qui est questionné dans cette étude
La richesse et l’évolution complexe
des différentes tendances
interprétatives qui traversent l’islam
depuis ses débuts rendentimpossibles les simplifications grossières. Certains analystes, plus ou moins bien intentionnés, reprennent pourtant à leur compte des clichés sur l’islam qui, pour être superficiels, n’en sont pas moins dotés d’une surprenante résilience. C’est le cas de la supposée opposition radicale entre un islam spirituel et mystique, et un islam dit ‘‘juridique et casuistique’’. En un mot, l’opposition entre le mufti et le soufi serait irréductible et insurmontable. C’est ainsi qu’un livre récent et intitulé Soufi ou mufti ? Quel avenir pour l’islam? Présente cette opposition comme étant la plus déterminante dans ce que sera l’islam de demain. Cet ouvrage prophétise la victoire inéluctable du juridique sur le spirituel1. Pourtant, l’historien des idées en terres d’Islam ne peut ignorer qu’il y a toujours eu des autorités de la Loi qui furent en même temps des maîtres de la Voie. Dès le IIIe siècle de l’Hégire, Junayd (m. 298/911), considéré comme l’une des autorités les plus importantes du soufisme, déclarait : « Notre science s’enracine dans le Livre et l’enseignement prophétique et quiconque n’est pas de ceux qui ont mémorisé le Coran, transcrit le Hadith et maîtrisé les sciences du fiqh, ne saurait être suivi. » Le célèbre Ghazâlî (m. 505/1111) a réussi une synthèse harmonieuse entre les aspects juridiques et spirituels de l’Islam, entre le fiqh et le soufisme, dans sa fameuse ‘‘somme spirituelle’’ intitulée Ihyâ’‘ulûm al-Dîn2. Il a ainsi durablement marqué toute la pensée musulmane. Mais bien avant lui, d’autres mystiques n’ont pas hésité à pratiquer un ijtihâd spirituel, c’est-à-dire à dépasser le cadre de la raison déductive et argumentative par le recours au dévoilement intuitif (kashf) afin d’apporter des réponses à des problèmes non évoqués par le Coran et la Sunna. C’est ainsi que Hallâj (m. 309/922) malgré son caractère extatique pratiquait l’ijtihâd – l’effort d’interprétation – pour réfuter certains points de Droit et de théologie qui lui semblaient trop restrictifs3. De la même façon, le grand porte-parole de l’ésotérisme islamique qu’est Ibn ‘Arabî (m. 638/1240) fait une large place au fiqh dans son opus magnum, al-Futûhât al-makkiyya4. Sur de très nombreux points de jurisprudence, il cite l’avis des principales écoles juridiques puis donne son propre ijtihâd, qui se veut à la fois fruit de son inspiration et conforme à la lettre des Écritures5. Quelques siècles plus tard, Jalâl al-Dîn al-Suyûtî (m. 911/1505), l’un des auteurs les plus prolixes de la littérature classique musulmane, prononça de nombreuses fatwas sur des sujets relatifs au soufisme dans son recueil intitulé al-Hâwî lil-fatâwî6. Il inaugurait ainsi une longue liste de muftis qui furent aussi de grands soufis. Nous nous proposons, dans ce qui suit,d’étudier le travail d’ijtihâd spirituel d’un grand mufti contemporain, le cheikh ‘Alî Jum‘a. ‘Alî Jum‘a est l’actuel Grand-mufti d’Égypte. Il est connu pour son combat sans concession contre l’excision dans un pays qui la pratique encore largement, et pour avoir affirmé clairement que l’apostasie ne mérite aucun châtiment terrestre dès lors que l’ordre public n’est pas menacé7. Il est né le 3 mars 1952 à Banî Suwayf en Haute-Égypte.
Il grandit dans une famille où la
piété et la recherche du savoir occupaient une grande place.
De fait, son père fut avocat
spécialisé dans les statuts promulgués par la sharî‘a. Il transmit à son
fils une bibliothèque privée de 30 000 ouvrages, laquelle est aujourd’hui
consultée par des étudiants et des chercheurs en quête de textes rares.
Parallèlement à ses études poursuivies
à al-Azhar où il obtint le doctorat en 1988, il fréquenta de nombreux maîtres
dans les principales sciences islamiques. Mais celui qui le marqua le plus
profondément est sans doute le muhaddith et soufi d’origine marocaine
‘Abd Allâh al-Ghumârî (m. 1993) lequel considérait ‘Alî Jum‘a comme un de ses
élèves les plus prometteurs. En 1995, tout en assumant la charge de professeur
à l’Université al- Azhar, il renoua avec la tradition d’enseigner les sciences
islamiques dans l’enceinte de la mosquée.
Il occupe la charge de Grand-mufti
d’Égypte depuis 2003.
Ce spécialiste des fondements du Droit
en Islam (usûl al-fiqh) est aussi un homme de spiritualité et un fin
connaisseur de la mystique musulmane.
Outre de nombreux ouvrages sur les usûl
al-fiqh, il a publié un recueil de cent fatwas8 dont beaucoup
concernent des thèmes relatifs à la mystique : al-Bayân limâ yashghal
al-adhhân9. Littéralement, le titre de l’ouvrage signifie:
l’éclaircissement
concernant les questions qui occupent
les esprits.
Ce titre suggère nettement la volonté
de répondre aux difficultés que rencontre l’Islam contemporain.
Soulignons d’emblée que l’ouvrage
possède une partie consacrée aux fatwas concernant le soufisme. Le titre de cette
partie en indique clairement l’objectif : Questions relatives au soufisme et
aux soufis (Masâ’il tata‘allaq bi-l-tasawwuf wa-lsûfiyya10).
Cette partie est relativement courte
et ne s’étend que sur vingt pages. Or, il faut remarquer que les sept fatwas qu’elle
contient ne sont pas les seules qui se rapportent de près ou de loin au
soufisme. En réalité, près d’un tiers des fatwas abordent des notions qui
relèvent du soufisme classique (30 sur 100). C’est ainsi que l’on retrouve dans
le deuxième chapitre consacré aux actes d’adoration une section de six fatwas11
portant exclusivement sur le dhikr qui
constitue, comme on le sait, une pratique centrale du soufisme12. C’est dire
que pour ‘Alî Jum‘a – désormais ‘A. J. – les aspects mystiques de l’Islam
doivent être pris en compte dès lors que l’on souhaite apporter des réponses
aux interrogations actuelles qui traversent le monde musulman13.
LES PRÉCÉDENTS
Jalâl al-Dîn al-Suyûtî (m. 911/1505)
fit œuvre de pionnier en introduisant pour la première fois le tasawwuf dans
le champ de la fatwa. Cet auteur à qui l’on prête près d’un millier d’ouvrages
reste un des plus lus dans le monde musulman14. Certes avant lui certaines autorités
religieuses présentèrent maints aspects du soufisme sous une forme compatible
avec l’esprit juridique de la théologie musulmane, mais sans que cela constitue
pour autant des fatwas au sens technique du terme. Les historiens s’accordent à
penser que le soufisme avait rencontré, dès les XIIe-XIIIe siècles, une
acceptation quasi-générale de la part des milieux religieux lettrés. Il est en
tout cas certain qu’à l’époque de Suyûtî la voie était déjà préparée pour ce
qu’É. Geoffroy appelle « une conquête de la pensée mystique15 ». Profitant de
cette avancée, Suyûtî reprit à son compte les notions soufies les plus subtiles
lesquelles revenaient régulièrement dans les débats théologiques. C’est ainsi
qu’il soutint la doctrine de la hiérarchie ésotérique des saints et la replaça dans le contexte
sunnite16 ; affirma la possibilité de voir le Prophète ou un ange à l’état de
veille17 ; souligna la justesse de contenu du hadith apocryphe souvent cité par
les soufis « Qui connaît son âme connaît son Seigneur18 », etc.
Ibn Hajar al-Haytamî (m. 974/1567) ira
plus loin encore dans la voie ouverte par Suyûtî. Dans ses Fatâwa hadîthiyya19,
cet auteur fécond se montre plus déterminé et plus tranchant que son illustre
prédécesseur. Son plaidoyer en faveur du soufisme va des sujets déjà abordés
avant lui à des thèmes très audacieux comme la défense de la doctrine de
l’unicité de l’Être (wahdat al-wujûd) ou encore la faveur surnaturelle (karâma)
octroyée à un saint de ressusciter un mort20.
Plus près de nous, le Cheikh al-Azhar
‘Abd al- Halîm Mahmûd (m. 1978) prononça 43 fatwas éclaircissant les aspects
les plus importants du soufisme21. Par ses éditions d’ouvrages classiques et
les études sur la mystique musulmane qu’il publia, il fut l’un des acteurs du
renouveau du soufisme en Égypte.
S’il n’est pas aisé d’embrasser uno
intuitio ce qu’est ou ce que devrait être le tasawwuf pour ‘A. J.,
nous pouvons à tout le moins saisir les orientations majeures qui se dégagent
de l’ensemble des fatwas, y compris celles qui ne présentent pas de liens
apparents directs avec le soufisme.
LA LUMIÈRE
MUHAMMADIENNE
Le thème de la lumière muhammadienne (nûr
muhammadî), celui du Prophète envisagé comme Lumière primordiale
semble être très ancien. Certains hadiths vont, en effet, dans ce sens.
On attribue souvent à Sahl al-Tustarî (m. 896) la première formulation explicite de ce thème «
Quant Il voulut créer Mohammed, Il montra une lumière provenant de Sa lumière
qui illumina tout le royaume22. » Elle est pourtant attestée
et largement citée au moins un siècle auparavant chez Ja‘far al-Sâdiq
(m. 148/765)23.
‘A. J. consacre deux fatwas au thème
de la lumière muhammadienne: la fatwa n° 37 : Peut-on dire du Prophète qu’il est
une lumière et cela est-il en contradiction avec son humanité? la fatwa n°38 : Qu’en
est-il du hadith «… la lumière de ton Prophète, ô Jâbir»?
Les réponses qu’il apporte à ces
questions sont très représentatives de la pédagogie qu’il a choisie pour son
ouvrage: s’en tenir à des sources reconnues par tous et éviter d’entrer dans
des considérations métaphysiques, même si, pour certaines questions, il est pour
le moins difficile d’en faire l’économie, comme le montre le passage
suivant : « Il est bien établi que le Prophète (sur lui la Paix) est
une lumière car le Très- Haut a dit : ‘‘Ô gens du Livre ! Notre Envoyé est venu
à vous pour rendre claire une grande partie des Écritures que vous dissimuliez,
sans vous tenir rigueur de nombreux manques. Une lumière vous est venue de la
part de Dieu ainsi qu’un Livre explicite.24 »
Le Prophète – sur lui
la Paix – appelle à Dieu par Sa permission et il est un flambeau éclairant. Le
prophète est donc la lumière et il est illuminant. Il est tout à fait permis de
dire que le Prophète – sur lui la Paix – fut une lumière puisque c’est Dieu
lui-même – qu’Il soit exalté – qui le décrit et le nomme ainsi. Tout cela n’empêche
pas que le Prophète – sur lui la Paix – fut un homme comme
l’affirme par ailleurs le Coran25. »
Concernant le hadith dit de Jâbir, ‘A.
J. reconnaît le caractère apocryphe de sa chaîne de transmission mais étant
largement présent dans la littérature soufie, il lui faut justifier cette utilisation.
Avec un minimalisme qui semble dicté
par la prudence, il reconnaît que l’idée selon laquelle la lumière du Prophète
est la première création entre bien en contradiction avec d’autres hadiths
mieux établis affirmant que les premières créations furent celle du Trône divin et du
Calame suprême (al-qalam al-alâ26). Mais il ajoute que l’on
peut tout de même admettre que la lumière mohammadienne fut la première des
lumières créées, devançant par exemple celle des anges27. Au-delà des discussions techniques sur la validité
de la chaîne de transmission, ce qui se joue ici est le rôle mystique du
Prophète dans l’élévation de l’âme et la réalisation spirituelle. Ce rôle est
bien résumé par G. Böwering: « Le Muhammad primordial représente le
cristal qui attire sur lui la Lumière divine, l’absorbe en son coeur, la projette
à toute l’humanité dans le Coran, et illumine l’âme du mystique28. »
LE RATTACHEMENT AUX
CONFRÉRIES SOUFIES
Un des griefs souvent fait au tasawwuf
est son organisation en confréries. Celles-ci apparaissent aux détracteurs
du soufisme comme une innovation blâmable (bid‘a dalâla) et une rupture
d’unité de la Umma, de la communauté des croyants, conçue comme une et
indivisible. Sur le thème du rattachement aux confréries soufies, al-Bayân
contient une longue fatwa où ‘A. J. tente d’apporter des réponses tirées du
Coran et de la Sunna.
Elles sont donc susceptibles d’être
entendues par tout musulman. La question à laquelle répond la
fatwa n° 87 est la suivante : « Quel est le statut juridique (hukm)
relatif au rattachement d’un musulman à une voie soufie (tarîqa)?
Pourquoi existe-il
plusieurs voies soufies ? Puisque le soufisme c’est l’ascèse, l’invocation de
Dieu et la noblesse de caractère, pourquoi le musulman ne pourrait- il se
contenter de puiser les convenances spirituelles et le bon comportement à
partir d’une lecture du Coran et de la Sunna?»
La réponse de ‘A. J. se déroule selon
trois axes : Établir la nécessité du soufisme. Promouvoir un soufisme du Coran
et de la Sunna.
Définir le rôle du maître spirituel.
La nécessité du soufisme découle de la
nature même de la vertu spirituelle (ihsân) telle qu’elle est définie
par le fameux hadith dit de Gabriel (hadîth Jibrîl) : « Le
soufisme c’est une discipline d’éducation intérieure par laquelle le musulman
peut s’élever jusqu’au degré de la vertu
spirituelle qui fut ainsi définie par le Prophète – sur lui la Paix – : ‘‘Que
tu adores Dieu comme si tu le voyais, car si tu ne le vois pas, Lui te
vois29.’’ » En conséquence, le soufisme sera défini dans cette fatwa comme un
programme d’éducation (barnâmaj tarbawî) «visant à purifier l’âme de
toutes ses maladies car celles-ci voilent l’homme de Dieu30. » La voie
soufie est ensuite décrite comme une école au sein de laquelle la purification
de l’âme (tathîr nafsî) et l’élévation du caractère (taqwîm sulûkî)
sont rendues possibles.
La relation de maître à disciple
occupe un rôle central dans cette éducation spirituelle : « Le maître spirituel
(shaykh) est celui qui enseigne cette discipline à l’élève ou au
disciple (murîd). De fait, l’âme humaine recèle, par nature, un
certain nombre de maladies intérieures comme l’orgueil, la suffisance,
la fatuité, l’égoïsme, l’avarice, la colère…31 »
Le rôle du maître spirituel, selon ‘A.
J., se déploie dans deux domaines essentiels. Il doit adapter la discipline
spirituelle aux besoins propres de chaque disciple et transmettre en tant qu’héritier du Prophète un
enseignement oral sans lequel aucune transformation profonde de l’âme n’est
possible : «Pour sa part, le maître spirituel qui transmet les
différentes formes d’invocation aux disciples, qui les guide dans la
voie de la purification de l’âme et de la guérison des maladies du
coeur, est aussi un enseignant
transmettant une discipline précise à chacun en fonction de ses maladies
propres.
Cette charge fut
d’ailleurs assumée par le Prophète – sur lui la Paix – qui conseillait à chacun
ce qui lui permettait de se rapprocher de Dieu en tenant compte de ce qui
différencie chaque âme32. »
Pour ‘A. J., le caractère nécessaire
du soufisme repose donc sur l’imperfection humaine, d’une part, et sur l’essence
des enseignements du Coran et de la Sunna, d’autre part : «Une voie soufie
doit comporter certains éléments : s’appuyer sur le Coran et la
Sunna puisqu’elle n’est autre que la discipline spirituelle contenue en
eux. Tout ce qui s’oppose à l’esprit des enseignements du Coran
et de la Sunna ne saurait faire partie d’une voie soufie. De plus, les enseigne
ments de cette voie ne peuvent être isolés de ceux de la Loi car ils en sont
l’essence (jawhar)33.
»
‘A. J. a conscience que la présence
des multiples confréries risque d’être interprétée par certains comme une «
division intolérable » de la Umma. C’est encore une fois aux sources
scripturaires majeures de l’islam qu’il fera référence : «… il s’agit de
pratiquer plus particulièrement une forme d’adoration de Dieu afin
d’aboutir à la proximité de Dieu. On peut rapprocher cela des
différentes portes du Paradis : bien que les portes soient multiples, le
Paradis est un. […] De la même façon, les voies soufies et les types
d’éducation qu’elles transmettent peuvent varier en fonction du maître
et des besoins du disciple… 34 »
Cependant, le recours aux preuves
scripturaires pour tenter d’établir l’orthodoxie du soufisme se pratique depuis
les premiers manuels de tasawwuf sans pour autant faire l’unanimité et
surtout, sans pouvoir justifier toutes les manifestations du soufisme
confrérique.
Comme on peut s’y attendre, c’est
plutôt le ‘‘soufisme savant’’ que souhaite défendre ‘A. J., dénonçant au passage
certaines manifestations du ‘‘soufisme populaire’’ : « Il faut souligner ici
que ce que nous disons du soufisme ne s’applique pas aux pseudo soufis qui ne
font que lui nuire et qui n’ont ni religion ni piété ; ceux qui recherchent la
transe lors des fêtes religieuses et qui simulent le ravissement. Tout cela ne
fait évidemment pas partie du soufisme authentique… et nous ne pouvons le juger
à partir d’actes d’ignorants. Il nous faut au contraire nous rapprocher des grands
savants qui firent son éloge et tenter de comprendre pourquoi
ils le firent35.
»
Pour autant, le rattachement à une
confrérie respectant le cadre de la sharî‘a reste pour ‘A. J. hautement
souhaitable, et le soufisme confrérique confrérique loin d’être présenté comme
une innovation blâmable est justifié comme adaptation nécessaire aux besoins
spirituels des époques s’éloignant des origines de l’islam. Ce qui était
naturel et informel à l’époque du Prophète et des premières générations doit
être explicité et systématisé sous peine de s’éteindre et de disparaître. Ce
processus affecta selon, ‘A. J., toutes les sciences religieuses, même s’il ne cite que la jurisprudence
(fiqh) et l’art de la psalmodie du Coran (tajwîd) : « Enfin,
nous voudrions répondre à qui demande: ‘‘Pourquoi ne pouvons- nous
nous contenter d’apprendre les convenances spirituelles et la
purification de l’âme directement du Coran et de la Sunna?’’ Ce genre de
propos est à première vue séduisant mais mène à une perte certaine !
Prenons un exemple :
Nous n’apprenons pas les obligations de la prière ainsi que ce qui y est
recommandé ou déconseillé par la lecture du Coran et de la Sunna mais par le
biais d’une science que l’on appelle jurisprudence (‘ilm al-fiqh).
Cette science a été élaborée par des juristes qui ont déduits, par un effort de
réflexion (istinbât), les statuts juridiques de la religion à partir du
Coran et de la Sunna.
Qu’en serait-il de nous
si nous adoptions l’attitude de celui qui voudrait lire directement des statuts
juridiques dans le Coran et la Sunna? De la même façon, il est des choses que l’on
ne saurait trouver par une simple lecture du Coran et de la Sunna, et qu’il
faut donc apprendre auprès des maîtres spirituels en recevant leur enseignement
oral car, en spiritualité, les enseignements écrits
ne suffisent pas.
La science du soufisme
fut exposée dès l’époque de Junayd, au IVe siècle de l’Hégire36 et elle
continue de l’être de nos jours, bien que les temps soient peu portés à la
spiritualité, que les moeurs soient dépravées, et que certaines voies soufies soient
déchues par l’adoption de comportements contraires à la religion, laissant
croire aux uns et aux autres qu’elles représentent le soufisme37. »
À l’évidence, ‘A. J. se doit de
justifier la présence des confréries dans un pays où elles sont très nombreuses
et qui connaît une institution particulière : celle de shaykh al-mashâyikh
al-turuq alsûfiyya38, institution par laquelle les confréries sont représentées auprès du pouvoir. L’État
possède ainsi un certain contrôle sur le rayonnement et l’activité des représentants
des voies soufies à tous les échelons de la hiérarchie confrérique, ce qui discrédite
les turuq dans certains milieux réformistes, notamment chez les Frères musulmans39.
LE DHIKR,
PRATIQUE CENTRALE DU SOUFISME
Six fatwas sont consacrées à cette
pratique particulière40 qui, bien que très présente dans le Coran et les hadiths,
n’est pas très suivie en dehors des milieux soufis. Trois parmi les six retiendront plus particulièrement
notre attention : la fatwa n° 55 parce qu’elle aborde la question des litanies
(awrâd) propres aux confréries, la fatwa n° 57 établissant la légitimité
des assemblées de dhikr et la fatwa n° 58 consacrée à la pratique
proprement initiatique de l’invocation du Nom suprême (al-dhikr bi-l-Ism
al-mufrad).
Concernant les litanies, ‘A. J. cite,
après avoir rappelé l’étymologie arabe du terme, Haytamî pour qui la récitation
de litanies matin et soir ou après chacune des cinq prières obligatoires est
une sunna du Prophète41. Pour démontrer le bienfondé de cette pratique
‘A. J. a recours à une argumentation de type juridique : s’il est difficile de justifier
par des références scripturaires toutes les litanies récitées dans les divers
confréries, il est en revanche simple de montrer la place centrale de l’invocation
abondante et même perpétuelle dans
le Coran et les hadiths42. Or, pour
arriver – ou à tout le moins s’approcher – de cette invocation perpétuelle de
Dieu, il faut entraîner l’âme par des exercices spirituels réguliers. C’est alors
que le spécialiste des fondements de la jurisprudence (usûl al-fiqh) qu’est ‘A. J.
rappelle cette règle juridique fondamentale qui lui permet de conclure : «Puisque
les litanies sont l’unique moyen d’arriver à l’invocation perpétuelle…
elles sont hautement recommandées (mustahabba) car le statut
juridique d’un moyen est celui de l’objectif auquel il mène (al-wasâ’il
lahâ hukm al-maqâsid43). »
Dans sa fatwa établissant le caractère
louable des assemblées de dhikr, ‘A. J. ne cite ni Suyûtî44 ni Haytamî45
qui ont chacun consacré une fatwa à cette question. Il ne fait pas appel non
plus à l’autorité de ‘Abd al-Halîm Mahmûd dont la fatwa intitulée « Des
litanies soufies » (fî awrâd al-sûfiyya) se contente de dresser une
liste des divers litanies possibles : demande de pardon (istighfâr),
prière sur le Prophète (salât ‘alâ l-nabî) et répétition de la shahâda46.
La raison en est certainement qu’il existe des hadiths présents dans les
recueils de Bukhârî et de Muslim47 qui montrent les Compagnons rassemblés pour la
pratique collective du dhikr48, et que ‘A. J. veut être plus rassembleur
que ne le fut ‘Abd al-Halîm Mahmûd dans ses fatwas.
Quant à la défense du dhikr au
moyen du Nom «Allâh », elle consiste essentiellement à réfuter l’idée selon
laquelle le Nom «dépouillé » (mujarrad) ne constitue pas une invocation
à proprement parler, n’étant ni une demande ni une louange.
Pour les détracteurs du soufisme, ce
terme isolé, fût-il le nom de Dieu, n’acquiert de signification qu’au sein de
la « phrase signifiante », la fameuse jumla mufîda des grammairiens
arabes. Or, pour A. J. dire «Allâh », c’est implicitement affirmer Son unicité et Sa transcendance. Cela
constitue donc bien une glorification (ta‘zîm)49.
QUELQUES CONCLUSIONS
De manière générale, ‘A. J., se montre
prudent et va beaucoup moins loin que ses illustres prédécesseurs. À titre d’exemple,
on ne saurait trouver chez lui de défense du malâmatî qui, pour atteindre la sincérité, est parfois
amené à enfreindre certaines dispositions de la sharî‘a.
Haytamî, quant à lui, n’hésita à
réhabiliter Ibrâhîm al-Khawwâs (m. 291/903) qui fut surnommé « le voleur du hammâm».
Voyant que les habitants de la ville lui témoignaient de la vénération, il déroba
un jour un vêtement appartenant au prince et fut ainsi discrédité aux yeux de
la foule50. Cette pédagogie spirituelle où
la
pureté intérieure prévaut sur les règles extérieures suscite encore aujourd’hui
de vifs rejets51. De la même façon, on ne trouvera chez ‘A. J. aucune
affirmation péremptoire sur la précellence du soufisme
sur les autres sciences religieuses, alors que Haytamî, ne se contentant pas
d’affirmer le caractère nécessaire de cette discipline, écrivit une fatwa qu’il
choisit d’intituler : «Quiconque rejette les soufis, ne profitera pas du savoir
qu’il possède52. »
S’il l’on compare les fatwas soufies
de ‘A. J. à celles de ‘Abd al-Halîm Mahmûd, il apparaît que le second se montra
beaucoup plus hardi que le premier. En effet, ‘Abd al-Halîm Mahmûd traite de thèmes ésotériques difficiles à
justifier du point de vue de la théologie sunnite : l’unicité de l’être (wahdat
al-wujûd)53, la vision du Prophète ou d’un ange à l’état de veille54, et il
alla même jusqu’à écrire une fatwa sur la validité des thèses de René Guénon
concernant les relations entre l’ésotérisme et l’exotérisme55. Même si ‘A. J.
écrivit un bel hommage à Martin Lings et à son oeuvre56,
faisant au passage l’éloge de l’École guénonienne, on ne trouve rien de
semblable dans ses fatwas.
Toutefois, on note quelques ouvertures
courageuses vers le soufisme doctrinal qui est parfois interprété par les
tenants du littéralisme comme un soufisme philosophique (tasawwuf falsafî)
auquel ils opposent un soufisme éthique (tasawwuf akhlâqî). À travers cette
opposition, c’est souvent l’oeuvre d’Ibn ‘Arabî et de son École qui est stigmatisée
: « En fait, les jugements hâtifs proférés contre Ibn ‘Arabî
traduisent le fait que beaucoup refusent l’évolution du soufisme, ascétique et
éthique au départ, vers une dimension initiatique et métaphysique57. »
La position adoptée par ‘A. J.
consiste à présenter un soufisme éthique qui ne se ferme pas à la dimension
initiatique. Ainsi, il traite la question de la vision onirique (ru’yâ)
en partant de définition qu’en donne Ibn ‘Arabî : « Sache que le principe
(mabda’) de la révélation (wahy) est la vision onirique authentique.
Cette dernière n’est en rien une fantaisie dénuée de signification ! La
vision onirique ne peut avoir lieu que durant le sommeil. Comme l’a dit
‘Â’isha : Le début de la révélation fut pour le Prophète la survenue de
visions oniriques authentiques. Tout ce qu’il voyait était aussi clair
que la lumière du matin58. »
On notera cependant que ‘A. J. ne cite
pas l’œuvre d’Ibn ‘Arabî d’où il tire cette citation, ce qui est le cas tout au
long de son ouvrage59. Il faut certainement voir là la volonté de ne pas prêter
le flanc à la critique à laquelle il se sait exposé.
Au terme de cette étude, une question
se pose: le soufisme qu’expose ‘A. J. à travers ses fatwas peut-il être rapproché
du soufisme réformé de la « voie muhammadienne60 » ? Dans un premier temps,
l’on serait tenter de répondre par l’affirmative car, à l’instar du soufisme réformé du
XIXe siècle, ‘A. J. renvoie dos à dos les dérives du confrérisme populaire et
la sclérose du juridisme littéraliste. Toutefois, on ne trouve chez lui aucune référence explicite aux grandes
figures de ce mouvement comme Shâh Walî Allâh (m. 1763) ou Ahmad
al-Tijânî (m. 1815).
Finalement, les fatwas soufies de ‘A.
J. restent en deçà de ce qu’il aurait pu se permettre compte tenu de ce que ses
prédécesseurs ont écrit. Mais si le soufi convaincu qu’il est s’est montré si
prudent c’est peut-être qu’il préféra ne pas brusquer son auditoire, étant
conscient d’une certaine « salafisation des esprits61 » par le biais des
nouveaux médias (chaînes paraboliques et internet). Et puisque l’on murmure au
Caire qu’il est pressenti pour être le prochain Shaykh al-Azhar, ‘A. J.
aura certainement l’occasion de poursuivre
patiemment sa discrète mais profonde défense du soufisme et de l’ijtihâd spirituel
en Égypte.
Tayeb CHOUIREF
.
Auteur: Tayeb Chouiref est
chargé de cours à l’Université Charles de Gaulle (Lille III). Il prépare
actuellement une thèse de doctorat sous la direction d’Éric Geoffroy.
Sur les interprétations mystiques des
sources scripturaires de l’islam, il a notamment publié :
«Al-kulliyya fî-l-Qurân :
Taqdîm al-shaykh al-Alawî wa tafsîruhu lil-âyat 2, 62 », dans Religions/Adyân,
issue 0, 2009, p. 56-61. [en arabe]
« The Shaykh Ahmad al-‘Alawî (1869-1934) and the Universalism of the Qur’ân: A Presentation and Translation of His Commentary on Verse 2 : 62 », à
paraître dans l’ouvrage collectif Universal Dimensions of Islam, en mars
2011.
Les Enseignements
spirituels du Prophète, éd. Tasnîm, 2008. (Anthologie des hadiths les plus
souvent cités par les maîtres soufis, accompagnés de leurs commentaires mystiques.)
Lettres sur le
Prophète et autres lettres sur la voie spirituelle,
(traduction annotée de lettres du
cheikh al-Arabî al- Darqâwî), éd. Tasnîm, 2010.
1. Anne-Marie Delcambre, éd. Desclée
de Brouwer, 2007. Un ouvrage écrit trois ans plus tôt, bien que suivant une
tout autre perspective, reconnaît le caractère central du soufisme parmi les
alternatives islamiques endogènes aux dérives du littéralisme et de
l’extrémisme religieux : Zidane Meriboute, La fracture islamique : demain le
soufisme?, Fayard, Paris, 2004.
2. Il n’existe pas de traduction
intégrale de cet ouvrage mais de nombreuses traductions partielles ont paru en
français et en anglais. Une analyse détaillée du contenu de chacun des quarante
chapitres de cette somme est parue sous la direction de G.-H. Bousquet sous le
titre Ihyâ’‘ouloûm ad-dîn ou vivification des sciences de la foi, Analyse
et index, Paris, 1955.
3. Cf. Éric Geoffroy, L’islam sera
spirituel ou ne sera plus, éd. Seuil, 2009, p. 108.
4. Cet ouvrage fut présenté et
partiellement traduit sous la direction de Michel Chodkiewicz sous le titre Les
Illuminations de la Mecque, éd. Albin Michel, 2e édition, 1997.
5. Sur ce sujet, on se reportera avec
profit aux analyses de Cyrille Chodkiewicz: «La Loi et La Voie» in Les
Illuminations de la Mecque, p. 79-106.
6. De nombreuses éditions. Nous
utiliserons l’édition critique de Khâlid Tartûsî, Beyrouth, 2005.
7. Cf. son article paru le 27-07-2007
dans le supplément au quotidien saoudien al-Madîna, intitulé al-Risâla.
8. Une fatwa est une réponse, formulée
dans le langage technique du Droit musulman, à une question religieuse faisant
problème.
Cette réponse doit être dûment
argumentée à l’aide de preuves scripturaires.
9. Ed. al-Muqattam, Le Caire, 2005. Un
second volume de fatwas est à paraître, il contiendra lui aussi une partie consacrée
au soufisme.
10. P. 315-335.
11. P. 231-243.
12. ‘Alî Jum‘a consacra un ouvrage à
cette pratique : al-Dhikr wa-l-du‘â’, éd. Al-Wâbil al-Sayyib, Le Caire,
2008. La matière de l’ouvrage est en grande partie tirée des ‘‘sermons du
vendredi’’ que notre auteur prononça dans la mosquée Sultân al-Hasan du Caire.
13. Récemment, il fit paraître deux
articles sur le sujet : Al-Ahrâm, le 6 et 13-02-2010.
14. Cf. É. Geoffroy, Initiation au
soufisme, éd. Fayard, 2003, p. 179. [Désormais : Initiation].
15. Cf. Le Soufisme en Égypte et en
Syrie, sous les derniers Mamelouks et les premiers Ottomans. Orientations spirituelles
et enjeux culturels, Damas-Paris, 1995, ch. XXII.
16. Al-Hâwî li-l-fatâwî, p.
647-659.
17. Ibid., p. 659-674.
18. Ibid., p. 644-647.
19. Ed. Dâr al-fikr, Beyrouth, s.d.
20. Sur l’ouvrage de Haytamî al-Fatâwâ
al-hadîthiyya, cf. É. Geoffroy, «Le soufisme au verdict de la fatwâ, selon
les Fatâwa Hadîthiyya d’Ibn Hajar al-Haytamî (m. 974/1567) » in Le
soufisme à l’époque ottomane, XVIe-XVIIIe, sous la direction de Rachida
Chih et Catherine Mayeur-Jaouen, Institut français d’archéologie
orientale, Le Caire, 2010, p. 119-128.
21. Cf. Fatâwâ ‘Abd al-Halîm Mahmûd, vol. II, p. 327-408, éd.
Dâr al-Ma‘ârif, Le Caire, 2002.
22. Cié par Annemarie Schimmel, Le
Soufisme ou les dimensions mystiques de l’Islam, éd. du Cerf, 1996, p. 270.
23. Cf. M. Chodkiewicz, Le Sceau
des saints, éd. Gallimard, 1986, p. 85.
24. Coran: 5, 15.
25. Bayân, p. 149-150.
26. Il s’agit d’un instrument de
lumière qui servit à écrire le destin de toutes les créatures. Cf. Fakhr al-Dîn
al-Râzî, Mafâtîh al-g hayb, Le Caire 1278, VI, 330.
27. Bayân, p. 152.
28. Cité par Éric Geoffroy in Initiation,
p. 72.
29. Bayân, p. 328.
30. Ibid.
31. Bayân, p. 328.
32. Bayân, p. 329-330.
33. Bayân, p. 329.
34. Bayân, p. 330.
35. Bayân, p. 330-331.
36. Xe siècle du calendrier grégorien.
37. Bayân, p. 331.
38. Selon une idée répandue en Égypte,
cette institution remonterait à Saladin. Les historiens la situent durant le
règne de Muhammad ‘Alî, au début du XIXe siècle.
39. Cf. Pierre-Jean Luizard, art.
cité.
40. Bayân, p. 231-246.
41. Al-Fatâwâ al-fiqhiyya, Le
Caire, s.d., vol. II, p. 385.
42. Sur les références scripturaires
du dikr, voir Titus Burckhardt, Introduction aux doctrines
ésotériques de l’islam, éd. Dervy, 1985, p. 137-144 ; É. Geoffroy, Initiation,
p. 243-255.
43. Bayân, p. 238.
44. Al-Hâwî li-l-fatâwî, p.
399-405.
45. Al-Fatâwâ al-hadîthiyya, p.
56.
46. Op. cit., p. 394.
47. Ces deux traditionnistes du
IIIe-IXe siècle ont composé les recueils de hadiths dont l’autorité est la plus
haute en islam sunnite.
48. Bayân, p. 241-242.
49. Bayân, p. 245.
50. Al-Fatâwâ al-hadîthiyya, p. 226.
51. Notamment de la part du théologien
contemporain Yûsuf al-Qardâwî.
52. Al-Fatâwâ al-hadîthiyya, p. 38.
53. Op. cit, p. 379-385.
54. Op. cit., p. 395-396.
55. Op. cit., p. 368-370.
56. Al-Ahrâm, le 11 juin 2005.
57. É. Geoffroy, Initiation, p.
149.
58. Bayân, p. 326.
59. De même, les oeuvres d’Ibn Arabî
sont absentes de la longue liste des ouvrages cités ou consultés par l’auteur,
placée en fin de volume.
60. Sur le soufisme réformé, voir É.
Geoffroy, L’islam sera spirituel ou ne sera plus, p. 113-117.
61. Par cette expression nous
désignons les différentes formes de rejet de l’islam traditionnel au profit
d’un islam littéraliste importé. Ce dernier se présentant
alors comme l’islam tout court ou comme l’islam originel. Sur ces tendances en
Égypte, voir l’article de Sofia Nehaoua, «Prédicatrices de salon à Héliopolis :
vers la salafisation de la bourgeoisie du Caire ? » dans la revue Le
Mouvement social, n° 231, 2010, p. 63-76.
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