Abdul Hâdî, La Gnose - Juillet 1911, n° 7 -
deuxième année
(Risâlatul-Ahadiyah)
(Suite)
Celui qui est ainsi qualifié possède des attributs
innombrables. Comme celui qui meurt, dans le sens propre du mot, est séparé de
tous ses attributs louables ou blâmables, de même, celui qui meurt, au sens
figuré, est séparé de tous ses attributs louables ou blâmables. Allah — qu’Il
soit béni et exalté — est à sa place dans toutes les circonstances (1). La «
nature intime d’Allah tient lieu de sa « nature intime » ; les « attributs »
d’Allah tiennent lieu de ses « attributs ». C’est pourquoi le Prophète —
qu’Allah prie sur lui et le salue — a dit : « Mourez avant que vous ne mouriez
», c’est-à-dire : « connaissez vous-mêmes (vos âmes, votre « proprium ») avant
que vous ne mouriez ». Il a dit encore : « Allah dit : Mon adorateur ne cesse
de s’approcher de Moi par des œuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime.
Et lorsque Je l’aime, Je suis son ouïe, sa vue, sa langue, sa main, etc. (2). »
Le Prophète veut dire : Celui qui tue son âme (son « proprium »), c’est-à-dire
celui qui se connaît, voit que toute son existence est Son existence. Il ne
voit aucun changement en sa « nature intime », ou en ses « attributs ». Il ne
voit aucune nécessité à ce que ses attributs deviennent les Siens. Car (il a
compris qu’) il n’était pas lui-même l’existence de sa propre « nature intime
», et qu’il avait été ignorant de son « proprium » et de ce qu’il était au
fond. Lorsque tu prends connaissance de ce que c’est que ton « proprium », tu
es débarrassé de ton dualisme (3), et tu sauras que tu n’es autre qu’Allah. Si
tu avais une existence indépendante, une existence « autre qu’Allah, tu
n’aurais pas à t’effacer ni à connaître ton « proprium ». Tu serais un Seigneur
Dieu autre que Lui. Qu’Allah soit béni, de sorte qu’il n’y a pas de Seigneur
Dieu autre que Lui.
L’intérêt de la connaissance du « proprium »
consiste à savoir, mais à avoir la certitude absolue que ton existence n’est ni
une réalité ni une nihilité, mais que tu n’es pas, que tu n’as pas été et que
tu ne seras jamais. Tu comprendras clairement le sens de la formule : Lâ ilaha
ill’Allah (= il n’y a pas de Dieu si ce n’est Le Dieu) (4), c’est-à-dire il n’y
a pas de Dieu autre que Lui, il n’y a pas d’existence autre que Lui, il n’y a
d’autre autre que Lui, et il n’y a pas de dieu si ce n’est Lui.
Si quelqu’un objecte : « Tu abolis Sa Seigneurie
(5) », je réponds : Je n’abolis pas Sa Seigneurie, car Il ne cesse pas d’être
(Seigneur) magnifiant, non plus qu’Il ne cesse d’être (adorateur) magnifié. Il
ne cesse pas d’être Créateur, non plus qu’Il ne cesse d’être créé. Il est
maintenant (6) tel qu’II était. Ses titres de Créateur ou de Seigneur
magnifiant ne sont point conditionnés par (l’existence) d’une chose créée ou
d’un (adorateur) magnifié. Avant la création des choses créées, Il possédait
tous Ses attributs. Il est maintenant tel qu’Il était. Il n’y a aucune
différence, dans Son Unité, entre la création et la préexistence. Son titre de
L’Extérieur implique la création des choses, comme Son titre de L’Occulte ou de
L’Intérieur implique la préexistence. Son intérieur est Son extérieur (ou Son
expansif, Son évidence), comme Son extérieur est Son intérieur ; Son premier
est Son dernier et Son dernier est Son premier ; le tout est unique et l’unique
est tout. Il est qualifié : « Tous les jours Il est en l’état de Créateur
Sublime ; rien d’autre que Lui n’était avec Lui; Il est maintenant tel qu’Il
était. » En réalité, autre-que-Lui n’a pas d’existence. Tel qu’II était de
toute éternité, tous les jours en l’état de Créateur Sublime. (Il n’y a) aucune
chose (avec Lui) et aucun jour (de création, à l’exclusion d’un autre), comme
il n’y a dans la préexistence de chose ni de jour (7), car l’existence des
choses ou leur néant est tout un. S’il n’en était pas ainsi, il aurait fallu la
création de quelque chose de nouveau qui ne fût pas compris dans Son Unicité,
ce qui serait absurde. Son titre de L’Unique Le rend trop glorieux pour qu’une
pareille supposition fût vraie.
Lorsque tu peux voir ton « proprium » ainsi
qualifié sans combiner l’Existence Suprême avec un adversaire, partenaire,
équivalent ou associé quelconque, alors tu le connais tel qu’il est
(c’est-à-dire tu te connais réellement). C’est pourquoi le Prophète a dit : «
Celui qui connaît son « proprium » connaît son Seigneur. » Il n’a pas dit : «
Celui qui éteint son « proprium » connaît son Seigneur. » Il sut et il vit
qu’aucune chose n’est autre que Lui. Ensuite, il dit que la connaissance de
soi-même, du « proprium » (de son âme), c’est là la Gnose ou la connaissance
d’Allah. Connais ce que c’est que ton « proprium », c’est-à-dire ton existence
(8) ; connais qu’au fond tu n’es pas toi, mais que tu ne sais pas. Sache que
(ce que tu appelles) ton existence n’est (en réalité) ni ton existence ni ta
non-existence. Sache que tu n’es ni existant ni néant, que tu n’es pas autre
qu’existant ou autre que néant. Ton existence et ta nihilité constituent Son
Existence (absolue, telle que l’on ne peut ni doit discuter si Elle est ou si
Elle n’est pas) (9). La substance de ton être ou de ton néant est Son
Existence. Donc, lorsque tu vois que les choses ne sont pas autres que ton
existence et la Sienne, et lorsque tu peux voir que la substance de Son Être
est ton être et ton néant dans les choses, sans (toutefois) voir quoi que ce
soit avec Lui ou dans Lui, alors tu connais ton âme, ton « proprium ». Or, se
connaître soi-même d’une telle manière, c’est là la Gnose, la connaissance
d’Allah, au-dessus de toute équivoque, doute ou combinaison d’une chose
temporaire avec l’éternité, sans voir dans l’éternité ou par elle ou à côté
d’elle autre chose que l’éternité.
Si quelqu’un demande : « Comment alors s’opère
l’Union (El-wiçal), puisque tu affirmes qu’autre-que-Lui n’est pas ? une chose
qui est unique ne peut s’unir qu’avec elle-même », la réponse est : En réalité,
il n’y a ni union (waçl) ni séparation (façl), comme il n’y a ni éloignement
(buud) ni rapprochement (qurb). On ne peut parler d’union qu’entre deux, et non
lorsqu’il s’agit d’une chose unique. L’idée d’union ou d’arrivé comporte
l’existence de deux choses, analogues ou non (10). Analogues, ils sont
semblables. S’ils ne sont pas analogues, ils se font opposition. Or, Allah —
qu’Il soit exalté — est exempt de tout semblable ainsi que de tout rival,
contraste ou opposant. Ce qu’on appelle ordinairement « union », proximité ou
éloignement (12), ne sont point tels (dans le sens propre du mot). Il y a union
sans unification, approchement sans proximité, et éloignement sans aucune idée
de loin ou de près.
(A suivre)
(1) Allah est ici a considérer comme la formule de
la Destinée, universelle ou individuelle.
(2) Une célèbre « Tradition sainte » (Hadît qodsî)
(voir La Gnose, 2ème année, n° 6, p. 174, note 7).
(3) Itnaïniyah = dualisme ; bi-existence ;
croyance en deux divinités ; de Itnaîn = deux. Dans quelques manuscrits, je
trouve : Ananiyah = égoïsme, de Ana = je, moi.
(4) Voir La Gnose, 2ème année, n° 2, p. 64, et
n°3, p.111 (errata du n° 2).
(5) Er-rubûbiyah, c’est-à-dire l’influence
seigneuriale, magnificatrice, glorifiante.
(6) Il s’agit toujours de la « Permanente
Actualité ».
(7) C’est-à-dire : Il n’y a actuellement, à notre
point de vue humain, de chose avec Dieu ni de jour de création particulière,
pas plus maintenant qu’avant la création du monde.
(8) C’est-à-dire ce que pouvait être ta vie
individuelle séparée de la vie universelle.
(9) Les mots entre parenthèses sont les tentatives
du traducteur pour préciser le sens du texte selon la pensée dominante de
l’auteur. Une traduction (Tarjumah) de l’arabe ou du chinois en une langue
occidentale correspond exactement à un commentaire indigène, dans la langue
même du texte.
(10) Mutasâwi = parallèle.
(11) Wiçâl, qurb, buaud ; termes soufites très fréquents.
Désignant des phénomènes psychologiques, ils s’emploient surtout en morale.
C’est pourquoi ils sont tombés, plus que les autres idées soufites, dans la
vulgarité sentimentale, après avoir perdu leur véritable signification. Il
incombe aux métaphysiciens de rendre le sens primitif aux mots qui désignent
les principes.
(12) Comme un grand artiste transforme un
fait-divers banal en un monument immortel, de même le métaphysicien purifie les
lieux communs en débarrassant la Tradition de la routine.
L'IDENTITÉ
SUPRÊME DANS L’ÉSOTÉRISME MUSULMAN
Abdul Hâdî, La Gnose - Août 1911, n° 8 - deuxième
année
Le Traité de l’Unité
(Risâlatul-Ahadiyah)
par le plus grand des Maîtres spirituels
(Suite et fin)
(Dans notre exemple), Mahmûd n’a jamais rien
perdu. Mohammad n’a jamais vécu (mot à mot : respiré, nafasa) dans Mahmûd,
n’est jamais entré dans lui ou sorti de lui. De même Mahmûd par rapport à
Mohammad. Aussitôt que Mahmûd a connu qu’il est Mahmûd et non Mohammad, il se
connaît, c’est-à-dire il connaît son « proprium », cela par lui-même et non par
Mohammad. Celui-là n’était pas. Comment aurait-il pu informer d’une chose
quelconque ?
Donc, « celui qui connaît » et « ce qui est connu
» sont identiques, de même que « celui qui arrive » et « ce à quoi on arrive »,
« celui qui voit » et « ce qui est vu » sont identiques. « Celui qui sait » est
Son attribut (çifa) ; « Ce qui est su » est Sa substance ou « nature intime »
(dât). « Celui qui arrive » est Son attribut ; « Ce à quoi on arrive » est Sa
substance. Or, la qualité et ce qui la possède sont identiques. Telle est
l’explication de la formule : Celui qui se connaît, connaît son Seigneur. Qui
saisit le sens de cette similitude comprend qu’il n’y a ni union (jonction ou
arrivée) ni séparation. Il. comprend que « Celui qui sait est Lui, et que « Ce
qui est su » est encore Lui. « Celui qui voit » est Lui ; « Ce qui est vu » est
encore Lui. « Celui qui arrive » est Lui ; « Ce à quoi on arrive » dans l’union
est encore Lui. Aucun autre que Lui ne peut se joindre à Lui ou arriver à Lui.
Aucun autre que Lui ne se sépare de Lui. Quiconque peut comprendre cela est
tout à fait exempt de la grande idolâtrie (3)
La plupart des initiés qui croient connaître leur
« proprium » ainsi que leur Seigneur et qui s’imaginent échapper aux liens de
l’existence disent que la Voie n’est praticable ou même visible que par «
l’extinction de l’existence » (El-fanâ) et par « l’extinction de cette
extinction » (Fana-el-fana’i). Ils ne dogmatisent ainsi que parce qu’ils n’ont
point compris la parole du Prophète — qu’Allah prie sur lui et le salue. Comme
ils ont voulu remédier à l’idolâtrie (qui résulte de la contradiction) (4), ils
ont parlé tantôt de « l’extinction », c’est-à-dire celle de l’existence, tantôt
de « l’extinction de cette extinction », tantôt de « l’effacement » (El-mahw)
et tantôt de « la disparition » (El-içtilam). Mais toutes ces explications
reviennent à l’idolâtrie pure et simple, car quiconque avance qu’il existe quoi
que ce soit autre que Lui, laquelle chose s’éteint par la suite, ou bien parle
de l’extinction de l’extinction de cette chose, un tel homme, disons-nous, se
rend coupable d’idolâtrie par son affirmation de l’existence présente ou passée
d’un autre que Lui (5). Qu’Allah —que Son nom soit exalté - les conduise, et
nous aussi, dans le vrai chemin.
(Vers :) Tu pensais que tu étais toi. Or tu n’es
pas et tu n’as jamais existé. — Si tu étais toi, tu serais Le Seigneur, le
second de deux ! Abandonne cette idée, — Car il n’y a aucune différence entre
vous deux par rapport à l’existence. — Il ne diffère pas de toi et tu ne
diffères pas de Lui. Si tu dis par ignorance que tu es autre que Lui, Alors tu es d’un esprit grossier. — Lorsque
ton ignorance cesse, tu deviens doux, Car ton union est ta séparation et ta
séparation est ton union. Ton éloignement est une approche et ton approche est
un départ (6). C’est ainsi que tu deviens meilleur. — Cesse de faire des
raisonnements et comprends par la lumière de l’intuition, — Sans quoi t’échappe
ce qui rayonne de Lui (7). Garde-toi bien de donner un partenaire quelconque à
Allah, Car alors tu t’avilis, et cela par la honte des idolâtres.
Si quelqu’un
dit : « Tu prétends que la connaissance de ton « proprium » est la Gnose,
c’est-à-dire la connaissance d’Allah que Son nom soit exalté ; — l’homme est
autre qu’Allah, dût-il connaître son proprium » (8), or, celui qui est autre
qu’Allah comment peut-il arriver jusqu’à Lui ? » la réponse est : « Qui connaît
son « proprium » connaît son Seigneur » (9). Sache que l’existence d’un tel
homme n’est ni la sienne, ni celle d’un autre, mais celle d’Allah (10) (sans
une fusion quelconque de deux existences en une), sans que son existence entre
dans Dieu, sorte de Lui, collatère avec Lui ou réside dans Lui. Mais il voit
Son existence telle qu’elle est (11). Rien n’est devenu qui n’a pas existé
auparavant (12), et rien ne cesse d’exister par un effacement, extinction ou
extinction d’extinction. L’annihilation d’une chose implique son existence
antérieure. Prétendre qu’une chose existe par elle-même signifie croire que
cette chose s’est créée elle-même, qu’elle ne doit pas son existence à la
puissance d’Allah, ce qui est absurde aux yeux et aux oreilles de tous. Tu dois
bien noter que la connaissance que possède celui qui connaît son « proprium »,
c’est là la connaissance qu’Allah possède de Son « proprium », de Lui-même, car
Son « proprium » n’est autre que Lui. Le Prophète — qu’Allah prie sur lui et le
salue — a voulu désigner par « proprium » (nafs) l’existence même. Quiconque
est arrivé à cet état d’âme, son extérieur et son intérieur ne sont autres que
l’existence d’Allah, la parole d’Allah (13) ; son action est celle d’Allah, et
sa prétention de connaître son « proprium » est la prétention à la Gnose,
c’est-à-dire à la connaissance parfaite d’Allah (14). Tu entends sa prétention,
tu vois ses actes, et ton regard rencontre un homme qui est autre qu’Allah
(comme tu te vois toi-même autre qu’Allah), mais cela ne provient que du fait
que tu ne possèdes pas la connaissance de ton « proprium ». Donc, si « le
Croyant est le miroir du croyant » (15), alors il est Lui-même (par sa
substance, ou par son œil) (16), c’est-à-dire par son regard. Sa substance (ou
son œil) est la substance (ou l’œil) d’Allah ; son regard est le regard d’Allah
sans aucune spécification (keifiyah) (17). Cet homme n’est pas Lui selon ta
vision, ta science, ton avis, ta fantaisie ou ton rêve, mais il est Lui selon
sa vision, sa science et son rêve (18). S’il dit : « Je suis Allah », écoute-le
attentivement, car ce n’est pas lui, mais Allah Lui-même qui (par sa bouche)
prononce les mots : « Je suis Allah ». Mais tu n’es pas arrivé au même degré de
développement mental que lui. Si tel était le cas, tu comprendrais sa parole,
tu dirais comme lui et tu verrais ce qu’il voit.
Résumons : l’existence des choses est Son
existence sans que les choses soient. Ne te laisse pas égarer par la subtilité
ou l’ambiguïté des mots, de sorte que tu t’imagines qu’Allah soit créé. Certain
initié a dit : « Le çûfî est éternel », mais il n’a parlé ainsi que depuis que
tous les mystères (lui) ont été dévoilés et que tous les doutes ou
superstitions ont été dispersés. Cependant, cette immense pensée ne peut
convenir qu’à celui dont l’âme est plus vaste que les deux mondes. Quant à
celui dont l’âme n’est qu’aussi grande que les deux mondes, elle ne lui
convient pas (19). Car, en vérité, cette pensée est plus grande que le monde
sensible et le monde hypersensible, tous les deux pris ensemble.
Enfin, sache que « Celui qui voit » et « Ce qui
est vu », que « Celui qui fait exister, et « Ce qui existe », que « Celui qui
connaît » et « Ce qui est connu », que « Celui qui crée », et « Ce qui est créé
», que « Celui qui atteint par la compréhension » et « Ce qui est compris »
sont tous Le-même. II voit Son existence par Son existence, Il la connaît par
elle-même et Il l’atteint par elle-même, sans aucune spécification, en dehors
des conditions ou formes ordinaires de la compréhension, de la vision ou du
savoir. Comme Son existence est inconditionnée, Sa vision de Lui-même, Son
intelligence de Lui-même et Sa science de Lui-même sont également
inconditionnées.
Si quelqu’un demande : « Comment regardez-vous ce
qui est repoussant ou attrayant ? Si tu vois par exemple une saleté ou une
charogne, est-ce que tu dis que c’est Allah ? ». La réponse est : Allah, est
sublime et pur, Il ne peut être ces choses. Nous parlons avec celui qui ne voit
pas une charogne comme une charogne ou une ordure comme une ordure. Nous
parlons aux voyants, et non aux aveugles. Celui qui ne se connaît pas est un
aveugle, né aveugle. Avant que cesse son aveuglement, naturel ou acquis, il ne
peut comprendre ce que nous voulons dire. Notre discours est avec Allah, et non
avec autre que Lui, ou avec des aveugles-nés. Celui qui est arrivé à la station
spirituelle qu’il est nécessaire d’avoir atteint pour comprendre, celui-là sait
qu’il n’y a rien qui existe, hormis Allah. Notre discours est avec celui qui
cherche avec ferme intention et parfaite sincérité à connaître son « proprium »
(au nom) de la connaissance d’Allah — qu’Il soit exalté —lequel, en son cœur,
garde en tout sa fraîcheur la forme (20) dans sa demande et dans son désir
d’arriver à Allah. Notre discours n’est pas adressé à ceux qui n’ont ni
intention ni but.
Si quelqu’un objecte : « Allah — qu’Il soit béni
et saint — a dit : Les regards ne peuvent L’atteindre, mais Lui, Il atteint les
regards (21) ; toi, tu dis le contraire ; où est la vérité ? », la réponse est
: Tout ce que nous avons dit revient à la parole divine : Les regards ne
peuvent L’atteindre, c’est-à-dire ni personne, ni les regards de qui que ce
soit ne peuvent L’atteindre. Si tu dis, qu’il y a dans ce qui existe un autre
que Lui, tu dois convenir que cet autre que Lui puisse L’atteindre. Or, (dans
cette partie de Sa parole arabe) : « les regards ne peuvent L’atteindre »,
Allah avertit (le croyant) qu’il n’y a pas un autre que Lui. Je veux dire qu’un
autre que Lui ne peut L’atteindre, mais celui qui L’atteint, c’est Lui, Allah,
Lui et aucun autre. Lui seul atteint et comprend Sa véritable « nature intime »
(Ed-dât), pas un autre. Les regards ne L’atteignent pas, car ils ne sont autre
chose que Son existence (22).A propos de celui qui dit que les regards ne peuvent l’atteindre, car ils sont créés, et le créé ne peut atteindre l’incréé ou l’éternel, nous disons que cet homme ne connaît pas encore son « proprium » (23). Il n’y a rien, absolument rien, regards ou autres choses, qui existent hormis Lui, mais Il comprend Sa propre existence sans (toutefois) que cette compréhension existe d’une façon quelconque.
(Vers :) « J’ai connu mon Seigneur par mon
Seigneur sans confusion ni doute. — Ma « nature intime » (dât) est la Sienne,
réellement, sans manque ni défaut. Entre nous deux il n’y a aucun devenir (24),
et mon âme est le, lieu où le monde occulte se manifeste. — Depuis que je
connus mon âme sans mélange ni trouble, — Je suis arrivé à l’union avec l’objet
de mon amour sans qu’il y ait plus de distances entre nous, ni longues ni
courtes. — Je reçois des grâces sans que rien descende d’en haut (vers moi),
sans reproches, et même sans motifs. Je n’ai pas effacé mon âme à cause de Lui,
et elle n’a eu aucune durée temporelle pour être détruite après (25).
Si quelqu’un demande. (Tu affirmes l’existence
d’Allah et tu nies l’existence de quoi que ce soit (hormis Lui) ; que sont donc
ces choses que nous voyons ? », la réponse est : Ces discussions s’adressent à
celui qui ne voit rien hormis Allah. Quant à celui qui voit quelque chose
hormis Allah, nous n’avons rien avec lui, ni question ni réponse, car il ne
voit que ce qu’il voit ; tandis que celui qui connaît son « proprium » ne voit
pas autre chose qu’Allah (en tout ce qu’il voit). Celui qui ne connaît pas son «
proprium » ne voit pas Allah, car tout récipient ne laisse filtrer que de son
contenu — Nous nous sommes déjà beaucoup étendu sur notre sujet. Aller plus
loin serait inutile, car celui qui n’est point fait pour voir ne verra pas
davantage (au moyen de nos efforts). Il ne comprendra pas et ne pourra
atteindre la vérité. Celui qui peut voir, voit, comprend et atteint la vérité
(d’après ce que nous avons dit). A celui qui est (hyperçonsciemment) arrivé, il
suffit d’une légère indication pour qu’à cette lumière il puisse trouver la
vraie Voie, marcher avec toute son énergie et arriver au but de son désir, avec
la grâce d’Allah.
Qu’Allah nous prépare à ce qu’Il aime et agrée en
fait de paroles, d’actes de science, d’intelligence, de lumière et de vraie
direction. Il peut tout, et Il répond à toute prière par la juste réponse. Il
n’y a de moyen ou de pouvoir qu’auprès d’Allah, le Très-Haut, l’Immense. Qu’Il
prie sur la meilleur de Ses créatures, sur le Prophète ainsi que sur tous les
membres de sa famille. Amen.
(1) Par la synthèse transformée et vivifiée des
connaissances détaillées et précisables.
(2) Mes manuscrits diffèrent beaucoup les uns des
autres. Dans quelques-uns, je lis : «.... si tu étais Lui ou bien un autre que
Lui ». Ailleurs je trouve : « ... si tu étais Lui ou que Lui était autre que
Lui ». Une troisième catégorie de manuscrits donne : «.... si tu étais Lui ou
que Lui était Lui ». La confusion n’est qu’apparente, car la tradition est,
comme nous le verrons plus tard, qu’Il est la Gnose et que la Gnose est Lui. On
voit Dieu par l’œil de Dieu.
(3) Mot à mot l’idolâtrie de l’idolâtrie,
Shurkus-Shurki.
(4) L’idolâtrie de la bi-existence (le dualisme)
n’a échappé à aucun théologien islamite qui a pensé en arabe. Cette langue est
algébrique, de sorte que l’étude de sa grammaire est, pour ainsi dire,
l’exposition du mécanisme de la pensée. Il est difficile de faire un faux
raisonnement en arabe sans faire des fautes de syntaxe, de lexique ou autres.
La perspicuité de la phrase arabe est la meilleure preuve de la sainteté de
cette langue, c’est-à-dire de sa primordialité ou de son édénisme. Dans le
chinois, et en partie dans le malais, on trouve des choses analogues.
(5) C’est-à-dire : il est dualiste, car il croit à
la bi-existence de ce qui existe.
(6) Fa waçluka hijrun wa hijruka waçlum — Wa
bu’duka qurbun wa qurbuka bu’dun.
(7) Lecture incertaine ; je traduis ce dernier
vers au hasard.
(8) La nuance accentuée vient du traducteur ; mot
à mot, on lit : Celui qui connaît son « proprium » est autre qu’Allah.
(9) L’auteur répond, à son tour, par la formule
dogmatique. Cette attitude dans la discussion est facile à comprendre ici.
(10) C’est-à-dire : il est devenu parfaitement
fataliste. Il connaît sa destinée, c’est-à-dire sa raison d’être dans
l’économie universelle, sa place dans la hiérarchie de tous les êtres. Il
exécute volontairement sa mission cosmique. Il est dans l’obéissance directe,
ce qui donne à son progrès l’harmonie des lignes. Cet abandon à la Volonté
d’Allah est « l’Islam ».
(11) Bihalihi, c’est-à-dire : il voit sa place
dans l’ordre. Maintenant, l’ordre est tel que tout est chacun et chacun est
tout. Chaque place, chaque « détail » comporte tout l’ensemble, et tout l’ordre
se retrouve dans chaque place. C’est pourquoi chaque chose qui est à sa place,
si infime qu’elle soit, représente la totalité. Qui est dans l’ordre est
l’ordre lui-même. Or, Dieu est l’ordre.
(12) Nous considérons ce traité comme la meilleure
exposition de la pensée islamo-sémitique, à cause de sa négation du temps et du
progrès. Sans cette notion, on ne peut rien comprendre de la vivante
immobilité, laquelle, sous différentes nominations, est le principe de l’art,
de la magie, du moral et de l’ésotérisme.
(13) Ailleurs, en d’autres manuscrits, on trouve :
« ... sa parole est la parole d’Allah », ce qui est plus conforme à la
tradition.
(14) Variante : «... sa prétention de connaître
son « proprium » est la prétention divine à Se connaître Soi-même. » Autre
variante : «... sa prétention à la Gnose est la connaissance de son « proprium
».
(15) El-mu’minu mir’atul-mu’mini, célèbre
tradition qui peut s’interpréter de différentes manières, car El-mu’min = le
croyant est aussi un nom d’Allah). On peut lire : le croyant est le miroir du
croyant, ce qui est l’interprétation socialo-morale ; ou : le croyant est le
miroir du Croyant, ce qui est l’idée dans l’ordre psychologique. Celle que nous
avons préférée dans le texte est l’idée dans l’ordre métaphysique.
(16) Biaïnihi ; Aïn = œil, puis source, substance
; s’emploie ordinairement dans le sens de « même », ainsi que les expressions :
binafsihi, bidâtihi, etc.
(17) Mot scolastique tiré de la particule keïf =
comment.
(18) Il est inutile de dire aux lecteurs de La
Gnose qu‘il est Lui selon Sa vision.
(19) Dans le texte : Cette bouchée est pour celui
dont le gosier est plus large que les deux mondes. Elle ne convient pas à celui
dont le gosier n’est qu’aussi grand que les deux mondes.
(20) Çurah, la forme, l’image. J’ai préféré la
forme : 1° pour éviter l’anthropomorphisme autant que possible : 2° parce que
la forme, voire même la formule, a une importance beaucoup plus grande et tient
une place plus élevée en l’Islam qu’ailleurs. Je me propose de développer ce
sujet plus tard.
(21) Qorân, ch. VI, v. 103.
(22) A un certain point de vue, qui cependant
n’est pas le nôtre, on pourrait dire que c’est la matière qui prend conscience
d’elle-même. Un athée qui n’est pas un cynique est, en général, assez bien
préparé pour comprendre la métaphysique de l’Islam.
(23) Variante : « est loin de connaître ».
(24) Donc pas de transsubstantiation,
d’incarnation, etc. Variantes : Hijrân = évasion, émigration ; Haïrân =
étonnement, etc.
(25) Plusieurs variantes, plus obscures les unes
que les autres, surtout à cause du mauvais état des manuscrits qui rend la
lecture incertaine. Quelques manuscrits ont même un verset de plus qui commence
: Wa niltu = je suis arrivé. Le reste est illisible.
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