Titus Burckhardt
Lettre 47
Un
certain homme nous fréquenta pendant environ huit ans, et pendant tout ce
temps, son attitude envers nous variait:
tantôt son amour augmentait et tantôt il s'affaiblissait. Or, comme nous étions
un jour avec lui, nous lui parlâmes
d'une manière qui toucha le fond de son coeur (mais Dieu est plus savant). Dès
lors, il se détourna dans une certaine
mesure du monde et se rapprocha de nous avec un grand élan. Et voici que les
aperçus spirituels l'envahirent par
vagues, alors qu'il n'en avait aucune expérience, et ils redoublèrent tant
qu'il pensait qu'il n'y avait sur terre aucun homme
plus sage que lui. Il accourut donc pour nous faire part de sa connaissance, puisque nous habitions éloignés l'un
de l'autre, et lorsqu'il nous eut parlé et nous lui répondîmes, il nous
contredit au nez, nous lançant ses mots en pleine
figure et se fâchant; tout cela en présence d'une assemblée de frères (que Dieu
soit satisfait d'eux).
Comme son attitude
habituelle envers nous n'avait jamais été telle, nous lui pardonnâmes, mais
lui, il ne nous pardonna pas et continua
de nous faire la guerre avec sa nouvelle science. Nous étions assis là devant
lui comme le voleur avec sa bande
devant leur juge. Cependant, nous n'acceptâmes pas son discours sauf en partie, dans la mesure où nous le trouvions
juste. Après nous avoir fait bénéficier de ses découvertes, il nous quitta et
alla trouver quelques frères qui étaient
bien intentionnés à notre égard et nous aimaient, mais dont l'état spirituel
était faible, de sorte qu'ils n'avaient d'autres
ressources que celles de la théorie. Il les ébranla dans leur intention, leur
amour et leur sincérité, et réussit presque
à les entraîner loin de l'intention pieuse et de l'amour sincère.
Or il essaya
de nous ramener de l'état d'isolement
(tajrîd) vers l'activité dans le monde, à quoi nous répondîmes:
"Quant à nous, si nous devions retourner vers
ce que tu nous proposes, nous le ferions sans perte de vertu, car nous tous
nous connaissons l'un et l'autre côté (le
monde et l'esprit), mais à toi ne convient que la fuite devant la sensualité (al-hiss),
pour qu'elle ne te reprenne pas,
comme
elle a repris beaucoup de tes pareils et même ceux dont l'état spirituel était
plus fort que le tien. Gare à toi, si tu
veux le salut de ton âme, écoute ce que je te dis et suis le; que Dieu te
prenne par la main! La sensualité, mon frère, est encore bien proche de toi, puisque tu ne connais qu'elle, comme la plupart des gens. La majorité ne
connaissent que le sensible et non le spirituel, ni la voie qui y mène. Or, si tu veux la suivre, fuis la sensualité, comme nous l'avons fuie, dépouille-toi d'elle, comme nous nous en sommes dépouillés, et combats-la, comme nous l'avons combattue, et marche par où nous avons marché. Si tu veux le sensible, mon frère, tu ne désires pas l'esprit et ton coeur ne s'y attache pas, car tout ce qui augmente les sens diminue la spiritualité et inversement..." Mais il n'accepta pas nos paroles, de sorte que la sensualité, contre laquelle nous l'avions mis en garde, lui enleva les aperçus spirituels qui l'avaient envahi et ne lui en laissa même pas l'odeur; et Dieu est garant de ce que nous disons.
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