بـــسْم ﭐلله ﭐلرّحْمٰن ﭐلرّحــيــم ﭐللَّهُمَّ صَلِّ عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ وَ عَلَى آلِهِ و صحبه وَ سَلِّمْ السلام عليكم و رحمة الله و بركاته
dimanche 31 mars 2013
Itinéraire d'un savant digne d'Al-Ghazali: Muhammad Saïd-Ramadan Al-Bouti
Ali El Hadj Tahar
Le grand savant syrien, Muhammad Saïd-Ramadan Al-Bouti, a été tué le 21 mars 2013 dans un attentat-suicide qui a provoqué la mort de 48 autres personnes dont son petit-fils. 84 personnes ont été blessées lors de l’attentat.
Le cheikh délivrait à ce moment-là un cours de religion à des fidèles dans la mosquée Al-Imane, au nord de Damas. Alors âgé de 84 ans, Al-Bouti était l’un des savants les plus prestigieux du monde musulman, sinon le plus prestigieux, en tout cas le plus écouté et le plus lu des théologiens et des imams de l’Islam médian et tolérant.
Dans sa jeunesse, Al-Bouti était un membre influent de la confrérie des Frères musulmans, branche syrienne, avant de la quitter et se consacrer à la science et à l’exégèse coranique et de la sunna. Après avoir compris le danger de la fitna issu de l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques, il combattra ces dérives de toutes ses forces en enseignant que si l’Islam est une religion de tous les lieux et tous les temps, c’est parce qu’il est intrinsèquement et fondamentalement moderne et qu’il ne peut être monopolisé par un pouvoir temporel. Afin d’éviter ce monopole de la religion par le pouvoir, le théologien, le mufti et l’imam doivent être indépendants et libres, dans le sens gramscien du terme, selon Al-Bouti, qui énonce que le penseur musulman doit être un intellectuel non organique afin que la religion ne soit pas instrumentalisée par les politiques ni par la politique. La religion est supposée unir alors que la politique et les idéologies divisent parfois, d’où la nécessité de mettre le culte, le théologien et l’imam au-dessus de ces clivages. L'imam et le mufti ne peuvent s'ingérer dans les affaires politiques que si la nation est menacée de division ou de fitna qui mettrait en danger son existence et des vies humaines. Al-Bouti disait qu’un homme de religion ne peut pas gouverner un État contemporain dans la mesure où il ne maîtrise ni l’économie ni les sciences de la politique et que sa compétence se limite à faire de la théologie s’il en a les compétences, ou bien à diriger une mosquée ou une école s’il n’a que cette capacité-là. Pour lui, en terre d’Islam, l’État doit représenter toutes les religions et toutes les confessions et sensibilités cultuelles et culturelles, dans le respect des lois internationales. La force attestée de l’Islam réside en la tolérance qui a participé de son rayonnement, alors que la violence et l’exclusion actuelles participent du noircissement de son image. Rejoignant le mufti de la République syrienne, cheikh Al-Hassoun, Al-Bouti dit qu’en terre musulmane, il doit y avoir une séparation entre l’État et la religion afin que les faux imams n’accèdent au pouvoir et n’usurpent le pouvoir temporel, comme c’est le cas dans certains pays où des rois et des émirs se disent les élus d’Allah et ses représentants sur terre, et comme le prétendent ceux qui se disent “islamistes”, frères musulmans et salafistes et prétendent pouvoir gouverner au nom de Dieu. Pour Al-Bouti, le mufti habilité à promulguer des fetwas doit être un savant, pas un politique improvisé en homme de religion. Considérant l'Islam politique comme une imposture responsable de la fitna, sa principale bataille, il l’a donc livrée contre les usurpateurs du titre d’imam et de mufti qui foisonnent aujourd’hui et qui ont réussi à répandre une “pensée” ignorante, archaïque, intolérante et extrémiste au service des régimes les plus rétrogrades.
Al-Bouti a obtenu le plus haut diplôme de l’université d’Al-Azhar en 1955, avant de commencer sa carrière d’enseignant, en 1960, à l’université de Damas. Dans la cacophonie actuelle du monde musulman où l’ignorance est instrumentalisée, voire institutionnalisée, Al-Bouti a vite compris l’urgence d’élever la voix de la sagesse, bien que le résultat ne soit pas certain car l’auteur de quarante livres a finalement pu être assassiné par un salafisme et un wahhabisme qui manipulent des millions de cerveaux par le biais de plus de 80 chaînes de télévision et de millions d’ouvrages qui sèment le poison de l’intolérance et sapent la foi authentique. Son assassinat s’inscrit donc dans la logique de l’extrémisme qui a eu raison de Boukhobza, Boucebci, Alloula, Abderrahmani, Djaout, Sebti et autres intellectuels dont l’écrivain égyptien Farag Foda. Les extrémistes se sont vengés sur lui non seulement pour avoir dénoncé leurs crimes en Syrie, mais pour avoir déjà dénoncé le GIA et autres MIA et AIS en Algérie, en les exhortant à la raison car l’Islam réfute toute forme de violence non prescrite dans la légitime défense et dans un cadre très strict et précis. Si Al-Bouti a été ciblé, ce n’est donc pas uniquement parce qu’il s’est aligné sur la défense de son pays face à une agression internationale menée par les USA, mais surtout parce qu’il est le phare de l’Islam opposé au wahhabisme utilisé comme cheval de Troie par l’impérialisme et le néocolonialisme pour asservir les nations islamiques.
En 1994, au moment où le wahhabite Al-Albani a fait une fetwa ordonnant aux musulmans de quitter la Palestine pour la laisser aux sionistes, Al-Bouti a publié Le Djihad en Islam qui replaçait le combat armé à la juste place que lui accorde la religion, refusant de laisser les “théologiens” de la fitna créer de nouveaux Afghanistan pour détourner les peuples du combat pour la restitution de la terre usurpée par le sionisme. Le 13 juin 2011, au début du “printemps arabe syrien”, il a publié une fetwa interdisant aux militaires de tuer des civils, mais les wahhabites l’accusent toujours de soutenir le régime, alors qu’il a soutenu l’État de droit et le droit à la légitime-défense d’un État agressé par l’Occident et ses valets du Golfe. En 2012, le royaume d’Arabie Saoudite lui a refusé le visa pour faire une omra avant d’interdire à tous les Syriens de faire le pèlerinage ! Puis Yousef Al-Qardaoui a lancé sa fetwa pour l’assassinat de soldats, de civils et de savants syriens qui soutiennent leur président, comme si l’appel au meurtre était devenu une normalité. Aujourd’hui, un immense savant est tué et l’événement passe comme un fait divers dans une nation frappée d’amnésie et d’inconscience pendant que ses peuples se déchirent et ses valeurs se délitent.
L’Union mondiale des ulémas musulmans est toujours parrainée par Al-Qardaoui, le porte-voix et soutien actif des groupes terroristes !
L’esprit de la tolérance contre l’esprit assassin
Al-Bouti est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages traitant des sciences de la religion, de littérature, philosophie, d’histoire, de théologie et de sociologie. Il parlait couramment le turc, le kurde et l'anglais. Sa connaissance des langues a enrichi son savoir et aux civilisations mondiales pendant que des ignorants faisant encore office de muftis disent que la terre est plate et tenue sur les cornes d’un taureau. Beaucoup de ses ouvrages ont été traduits dans une quinzaine de langues, dont certains d’ordre purement philosophique et d’autres sur des questions du quotidien, notamment la capacité de l’Islam à répondre aux besoins des sociétés modernes, la femme et l’égalité entre les sexes, en présentant l’Islam comme une religion du juste milieu, et la foi comme une source de bonheur, pas comme une source de contraintes et encore moins de malheur et d’épreuves. Al-Bouti est aussi l’auteur d’un livre qui fait grincer les dents des wahhabites : La Salafiyyah, une époque bénie et non une méthodologie islamique. Sous ce titre programme, il démantèle la doctrine wahhabite qui divise les musulmans alors que l’Islam est déjà riche de quatre écoles de jurisprudence (madhahib). La cacophonie actuelle est issue de la destruction des bases de l’Islam sous prétexte d’un retour au salaf, à “l’Islam juste” des origines, ce qui ouvre la voie à des interprétations excommunicatrices, takfiristes. À ce motif et bien d’autres, le djihad est brandi par les théoriciens de la violence, et toutes sortes de mercenaires et de putschistes instrumentalisés par les régimes de la péninsule arabique qui ont amené la société musulmane à se comporter de manière primitive en brandissant des Kalachnikov et des bombes au lieu de brandir des livres.
Pour Al-Bouti, le seul et unique message de l’Islam est celui de la tolérance et du dialogue spirituel qui unit les communautés et les peuples, et non pas le wahhabisme et le salafisme qui offrent à l’impérialisme et aux ultralibéraux de la Maison-Blanche la chance de sévir et qui, d’ailleurs, brandissent le “clash des civilisations” huttingtonien pour exciter les conflits et les guerres. La lecture du Coran d’Al-Bouti vise à l’émancipation des sociétés, à les dynamiser, unir et propulser de l’avant. Elle s’oppose à celle des wahhabites qui brandissent la violence comme méthode et argument pour éloigner les musulmans les uns des autres et des autres peuples, en en faisant des terroristes potentiels. Al-Bouti rappelle que le concept de djihad évoque d’abord et avant tout un effort spirituel et intellectuel, avant d’être physique ou militaire et encore moins avoir une visée belliqueuse. Il prouve que la déclaration du djihad armé appartient au seul chef de l’État et aucun mufti, savant ou chef politique n’a le droit de la faire à sa place. À ce sujet, il écrit que la portée belliqueuse du djihad “a eu pour conséquence d'en exclure bon nombre de ses formes et indubitablement les plus importantes parce qu'elles prévalaient dès les débuts de la prédication islamique à La Mecque, constituant ainsi l'essence même du djihad et donnant naissance à d'autres formes dictées par les circonstances”. Al-Bouti était dépité que chez les musulmans, les muscles aient remplacé le cerveau, le langage belliqueux, la sagesse. Il ne cessait de rappeler que le djihad armé “n’a été prescrit qu'après l'exode du Prophète vers Médine”, à la deuxième année de l’Hégire, soit après 14 années de patience et de résistance pacifique face à des ennemis hostiles. Il ajoutait souvent que Dieu n’a ordonné ni à Moïse ni à Jésus de prendre les armes et qu’il n’a ordonné à Mohamed de se défendre que lorsque sa vie était en danger et que l’Islam était menacé dans son existence même alors que le message divin n’avait pas été entièrement révélé. Ghandi a appris sa sagesse à travers l’exemple des prophètes qui ont tous fait preuve d’une résistance pacifique. Al-Bouti était un fervent admirateur d’Abu Hamid Al-Ghazali, l’illustre juriste, théologien, philosophe et mystique du XIIe siècle. Esprit encyclopédique comme lui, il n’entendait pas de pratique cultuelle sans sagesse ni science, et encore moins de recherche du savoir et d’humilité. L'influence d'Al-Ghazali s'est étendue au-delà du monde islamique pour s'exercer jusque sur la pensée chrétienne et juive, notamment sur Maïmonide ; et c’est cette exigence qui faisait la force de la pensée islamique que prône Al-Bouti. C’est un retour à cet ijtihad qu’aspirait le savant syrien qui ne ménageait pas ses forces pour transmettre son savoir, et c’est sa transmission comme sa science que les sicaires visaient. Dans un siècle qui s’annonce chaud avec des conflits à la pelle au centre desquels l’Islam, l’affrontement des théoriciens de la tolérance et ceux du wahhabisme a fini par le bain de sang d’un savant ainsi que quarante de ses étudiants. Al-Qardaoui, le ténor du wahhabisme takfisite, l’esprit le plus sectaire d’un “Islam” à la solde du sioniste et de l’impérialisme, a eu raison d’Al-Bouti, physiquement parlant, par la violence qu’il prône. Al-Bouti, l’esprit vivant d’un Islam tolérant, ouvert et moderne dans des États-nations souverains et indépendants reflète-t-il la pensée juste mais néanmoins minoritaire dans une nation livrée à elle-même, divisée, morcelée, si ce n’est prête à une fitna sans fin ou à de longues guerres fratricides ?
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