par Ruggero Vimercati Sanseverino vimsans@gmail.com Extrait de la thèse « Fès, la ville et ses saints (808-1912) : Hagiographie, tradition spirituelle et héritage prophétique », soutenue à l’Université de Provence, 2012 (en cours de publication)
Malgré l’abondance des données hagiographiques sur les
saints de Fès, certains ouvrages acquirent le statut de référence et marquent
particulièrement la vie spirituelle de la ville et du Maroc en général. Ce sont
notamment les ouvrages qui s’inscrivent dans une tradition propre à Fès et qui
marquent son évolution. Ouvrages de synthèse, ils rassemblent les passages des
écrits antérieurs ou inaugurent un nouveau type du récit hagiographique. Ainsi
le Mir’āt al-Maḥasin introduit par exemple l’hagiographie centrée sur un
saint et sa zâwiya, alors que le Rawḍ al-‘aṥir al-anfās présente les
biographies des saints en suivant l’ordre des quartiers où se trouve leur
sanctuaire. Les hagiographes de Fès se référent généralement à leur
prédécesseurs et entretiennent ainsi une continuité remarquable qui vise à
constamment réactualiser la mémoire spirituelle de la ville1. C’est une tâche
lourde qui incombe à ces auteurs qui d’ailleurs semblent en être conscients
lorsqu’ils déplorent la déficience de leurs contemporains à l’égard de ce
qu’ils considèrent comme une responsabilité vis-à-vis du patrimoine spirituel
de Fès et de ses saints2.
Le souci de continuité explique aussi les innombrables
répétitions auxquelles est confronté le chercheur désireux de connaître mieux
tel ou tel personnage. Certains auteurs n’hésitent pas à rapporter parfois
toutes les versions qu’ils ont pu trouver d’une même anecdote comme le font
souvent les traditionnistes. C’est le mérite des grands auteurs d’avoir
rassemblé les passages concernant chaque saint et de les avoir organisés de
manière synthétique.
Dans l’examen des ouvrages hagiographiques qui suit, il
s’agit, à l’instar de Nelly Amri, de dégager « le lien ou la corrélation entre
la structure du recueil et le modèle de sainteté propagé par ce dernier »3.
Cela permettra de suivre l’évolution des modèles de sainteté et d’analyser à
travers des exemples concrets le rapport entre l’hagiographie et la tradition
spirituelle de Fès. Vu l’abondance des écrits et la variété des genres
hagiographiques, le choix opéré ici s’est évidemment montré une affaire
complexe, surtout pour ce qui concerne les ouvrages assez abondants des
XIe-XIVe/XVIIe-XXe siècles, mais en même temps, certains ouvrages
apparaissaient au cours de la recherche comme incontournables, pour aborder la
tradition spirituelle de Fès. C’est ce qui a déterminé notre étude des
principaux ouvrages consacrés aux saints de Fès.
1. La naissance d’une tradition
hagiographique - Le Mustafād et la vie de saints comme enseignement initiatique
Premier ouvrage hagiographique du Maroc, le Mustafād
fī manāqib al-‘ubbād bi-madīnat Fās wa mā yalīhā min al-bilād4 (« Le
renseignement bénéfique au sujet des faits vertueux des dévots de la ville de
Fès et de ses environs ») de Muḥammad ‘Abd al-Karīm al-Tamīmī5 (m.
603-4/1206-7) constitue en premier lieu un témoignage de la vie spirituelle de
Fès à partir du IVe/Xe jusqu’au VIe/XIIe siècle. Une partie du Mustafād a
été découverte et éditée il y a seulement quelques années, ce qui explique que
É. Lévi-Provençal ne le mentionne pas dans Les Historiens des Chorfa6.
C. Addas7 évoque l’auteur comme associé d’Ibn al-‘Arabī pendant son séjour à
Fès et déplore la perte du Mustafād. V. Cornell8 semble être le premier
à avoir eu l’occasion de traiter de l’oeuvre et de son auteur lorsqu’il analyse
la figure du soufi-juriste. Plus récemment K. Honerkamp9 a traduit le passage
d’al-Tamīmī sur Abū Ya‘zā et étudié le rapport entre le degré spirituel élevé
accordé au saint et l’image que l’hagiographe présente de ce dernier comme ascète.
Al-Tamīmī10 ne s’étend guère sur l’aspect historique des
personnages qu’il évoque et se limite à mentionner leur nom sans préciser le
lieu ou la date de naissance, ni l’origine ethnique. Comme le remarque
justement M. Cherif11, c’est avant tout la dimension spirituelle des
personnages qui l’intéresse, conformément à la vocation « édifiante » de son
ouvrage. Pour la même raison, la « mise en perspective temporelle du saint »12
cédé à la valorisation du profil spirituel de ce dernier.
Dans la partie qui nous est parvenue, al-Tamīmī recense
115 personnages, dont 74 semblent habiter à Fès et 23 dans les proches
alentours, alors que 15 personnages sont d’origine andalouse et trois viennent
du Maghreb Central. Si ces données témoignent de l’influence des milieux soufis
andalous sur Fès, l’Orient musulman, notamment le Hedjaz, la Grande Syrie et
l’Égypte, apparaît comme une destination des saints13, surtout dans le cadre du
pèlerinage et de la guerre sainte contre les croisés, mais aussi dans la
recherche de la science comme c’est le cas pour al-Tamīmī lui-même. Il est
probable que Fès est l’une des haltes privilégiées des soufis andalous en route
pour l’Orient, bien que certains s’y soient installés.
La plupart des personnages du Mustafād sont des
artisans, alors que certains saints mentionnés ne semblent se livrer à aucune
occupation professionnelle et vivent dans la pauvreté14. Dans les deux cas tous
ces saints font preuve d’un détachement intransigeant (zuhd) et se
contentent du peu qui leur reste après avoir distribué une partie importante de
leurs ressources aux pauvres. Certains individus ont à leur disposition des
biens plus ou moins importants auxquels ils renoncent ou qu’ils gardent. Du
point de vue sociologique, la plupart des personnages du Mustafād sont
issus d’un milieu social moyen. La typologie élaborée par al-Tamīmī ne se
limite donc pas au modèle de l’ascète mendiant. Le dépouillement matériel ne se
présente pas comme une condition de la sainteté.
Le même état de fait peut être constaté par rapport aux
origines ethniques ou tribales. Si le phénomène du chérifisme ne montre pas
encore l’impact qu’il aura quelques siècles plus tard, dans le Mustafād la
sainteté n’est pas le privilège d’une famille comme c’est le cas à Aghmat par
exemple15. La science est beaucoup plus présente. La plupart des saints de Fès
sont des spécialistes de jurisprudence, de la récitation coranique ou des
hadiths qu’ils enseignent à un public plus ou moins important selon les cas.
Quelques-uns sont des autorités intellectuelles de leur époque16. La figure du
saint juriste, comme l’a relevé V. Cornell17, est effectivement prépondérante
dans cette première hagiographie du Maroc. La prééminence de la science
n’empêche pourtant pas certains de se consacrer exclusivement à l’adoration et
de mener une vie assez discrète. Le saint illettré Abū Ya‘zā représente une
exception assez remarquable, d’autant plus que l’auteur lui dédie un nombre
important de pages pleines de témoignages personnels.
Fait assez inhabituel pour le milieu maghrébin du
VIIe/XIIIe siècle, le soufisme apparaît dans le Mustafād plus comme une
science et moins comme une pratique. L’auteur entend par taṣawwuf probablement
la connaissance des sentences des maîtres orientaux ainsi que des manuels comme
la Ri‘āya li-ḥuqūq Allāh d’al-Muḥāsibī, la Risāla d’al-Qushayrī,
le Qūt al-Qulūb d’Abū Ḷālib al-Makkī et surtout l’Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn d’al-Ghazālī18.
Quant à la pratique, elle n’est pas encore organisée et codifiée dans le cadre
des confréries. Pour al-Tamīmī les soufis ou le qawm (« la tribu ») ce
sont simplement ceux qui ont approfondi et pleinement réalisé l’islam. C’est
pour cela qu’on ne trouve aucune allusion explicite à la doctrine initiatique.
Ce qui transparaît ce sont plutôt la pratique et les qualités personnelles. Il
s’agit donc d’un soufisme de tendance akhlāqī (« fondé sur les vertus
spirituelles »), ce qui n’est pas du tout inhabituel pour l’époque, surtout au
Maghreb.
Quelques notions techniques apparaissent cependant
parfois. Au tout début du livre19 on lit que ‘Alī b. Ismā‘īl Ibn Ḥirzihim suit
la voie de la malāmatiyya et qu’il est le premier à l’introduire au
Maroc. Sans donner d’explications supplémentaires, al-Tamīmī remarque que les
gens désapprouvent « certains de ses états », ce qui n’empêche pas que « les
coeurs s’inclinent vers lui avec affection »20. Un peu plus loin, al-Ḥājj Abū
‘Abdallāh al-Bannā’ est dit avoir pratiqué « une voie qui se caractérise par la
grandeur d’âme (al-futuwwa) et l’excellence du caractère (ḥusn
al-khuluq) »21. Or, malāmatiyya et futuwwa sont des notions
de la tradition spirituelle du Khorasan22, mais aucun élément ne permet
d’affirmer des liens historiques précis entre les soufis de Fès et cette
dernière. Il est vrai que ces termes désignent en effet des attitudes et des méthodes
initiatiques qui, au moins depuis l’apparition des manuels du soufisme, ne sont
pas forcément liées à une région spécifique. Ainsi, sans vouloir exclure la
possibilité d’une filiation historique, il est également possible que ces
termes aient été appliqués, par al-Tamīmī lui-même ou par d’autres, à certains
saints maghrébins après la lecture des ouvrages orientaux.
Si le côté akhlāqī est dominant, les faits
surnaturels, il est vrai, ne manquent pas non plus23. En effet, les vertus
spirituelles ne sont pas une fin en soi, mais les signes visibles d’une
élection divine qui se manifeste parfois à travers des grâces surnaturelles (al-karāmāt)24.
Cependant, il faut remarquer qu’al-Tamīmī ne se livre pas à l’énumération des
miracles. Les faits surnaturels sont dans le Mustafād presque toujours
associés à un enseignement ou à un éveil spirituel25. Les divers récits donnent
toujours l’impression que si les saints en manifestent parfois, c’est en raison
du bénéfice spirituel qu’ils peuvent apporter à ceux qui les entourent. Enfin,
dans le cadre du discours hagiographique, les miracles ne font qu’illustrer le
statut hors norme de ces personnages. Il s’agit sans doute de montrer que la
sainteté correspond essentiellement à un don divin qui surpasse la piété du croyant
commun et qui n’est pas mesurable par les catégories de l’entendement humain.
Les miracles des saints illustrent enfin de manière incontestable leur fonction
de représentants du Prophète qui a été secouru par Dieu par de nombreux
miracles.26
En effet, al-Tamīmī ne se limite pas à relater la vie des
saints de Fès, mais il compare leurs expériences avec celles des saints
orientaux. Cela traduit d’une part la volonté de transmettre aux lecteurs
maghrébins l’enseignement que l’auteur a pu collecter dans ses voyages
orientaux et, d’autre part, le souci apologétique de montrer la concordance
entre l’expérience des soufis de Fès et celle des grands noms de l’Orient.
Côtoyant les cercles soufis tunisiens et orientaux, al-Tamīmī a sans doute pris
connaissance des ouvrages hagiographiques comme le Riyāḍ al-nufūs27 d’Abū
Bakr ‘Abdallāh al-Mālikī (m. 541/1047) et les Ṥabaqāt d’al-Sulamī.
Montrant la continuité entre les compagnons du Prophète, la génération des
ascètes et les soufis, ces ouvrages ont probablement incité notre auteur à
rédiger son livre afin d’inclure dans l’univers de la sainteté musulmane les ṣulaḥā’
de sa ville natale28.
Le
manque d’historicité du Mustafād est un indice du fait qu’il ne s’agit
pas d’une simple collection biographique, mais d’une lecture spirituelle. Si
Ibn al-‘Arabī l’a étudié, ce n’est certainement pas par curiosité historique.
Les anecdotes des saints personnages font partie de l’enseignement religieux et
initiatique de l’islam depuis le début29 et à une époque où le Maghreb n’a pas
encore produit des traités doctrinaux ou des manuels de soufisme,
l’hagiographie représente un moyen privilégié pour la transmission du savoir
initiatique par l’écrit. Sur la base des vies des saints et à travers ses
propres explications, al-Tamīmī livre un enseignement initiatique pour ses
disciples et pour la tradition spirituelle de son pays.
Bien que le Mustafād ne soit pas un traité
doctrinal, al-Tamīmī développe un enseignement initiatique lorsqu’il explique
et commente les anecdotes et sentences des saints de Fès. Employant un langage
simple et évitant les commentaires sophistiqués, il illustre ses arguments par
des hadiths et des versets coraniques, démontrant ainsi le lien de l’expérience
soufie avec les textes fondateurs de la tradition musulmane. Il avoue
d’ailleurs lui-même d’avoir opéré un choix parmi les récits30 ce qui montre son
souci d’insister sur certains aspects au détriment d’autres qu’il juge
inopportuns. En effet, il trace les contours d’une sainteté fondée sur le
modèle prophétique (sunna), la voie des pieux anciens (salaf) et
sur l’exemple des soufis orientaux unanimement reconnus. Le modèle prophétique
transparaît par l’importance que prennent les hadiths et les pratiques de la
Sunna. Certains saints transmettent un hadith qui leur est propre ou prennent
un hadith comme support de méditation privilégié pour leur cheminement
initiatique31. Le récit de la rencontre de l’auteur avec Abū Madyan évoqué plus
haut montre même comment la mise en pratique des hadiths est considérée comme
supérieure à la connaissance théorétique de la doctrine soufie formulée en
Orient. La pratique des salaf, c'est-à-dire des compagnons du Prophète
et des deux générations qui suivent, apparaît par la mise en valeur du wara‘,
le « scrupule », notamment quand il s’agit de la nourriture, et du zuhd,
le « renoncement », qui caractérisaient les premiers musulmans. Quant aux
soufis orientaux, l’auteur insiste visiblement sur la similitude (tashābuh)
entre l’expérience des saints de Fès et leurs homologues orientaux. Le
vocabulaire est clairement influencé par la littérature soufie. M. Cherif32
distingue les termes concernant la relation entre le maître et disciple (ṣuḥba,
shaykh, khidma), ceux qui relèvent des vertus spirituelles (irāda,
war‘, zuhd, faqr, istiqāma, tawakkul, akhlāq etc.),
les notions désignant des expériences cognitives (khāṥir, kashf, muḥādatha,
mukhāṥaba, ru’ya, etc.) et celles qui dénotent les étapes et les
pratiques du cheminement (sulūk, bidāyāt, mujāhadāt, siyāḥa,
khalwa, etc.). Or, al-Tamīmī ne définit pas ces termes qui sont
d’ailleurs pour la plupart d’origine coranique33 et, comme le note encore M.
Cherif, les notions de doctrine métaphysique sont pratiquement absentes34.
En
présentant la tradition spirituelle de Fès35 tout en s’appuyant sur ces trois
éléments, à savoir le modèle prophétique, la pratique des salaf et le
soufisme oriental, le Mustafād réalise une synthèse qui rattache les
saints de la ville idrisside d’une part à la sainteté telle qu’elle a été
énoncée par l’hagiographie orientale, et d’autre part au contexte intellectuel
et socioreligieux de Fès. Or, le fait que l’auteur évite visiblement les
exposés doctrinaux et utilise parfois un langage populaire pose la question du
public auquel le livre est destiné. S’agit-il d’un ouvrage de vulgarisation
censé sensibiliser un public plus large et non-soufi à l’hagiologie et à
l’enseignement spirituel ? Le soin apporté à la vérification de l’authenticité
des anecdotes36 par les chaînes de transmission utilisées dans la science des
hadiths relève de la volonté de rendre le Mustafād acceptable pour
milieu savant. D’autre part, l’idée de l’héritage prophétique est à considérer
à ce propos. Si la littérature des rijāl, les transmetteurs des hadiths,
documente la transmission des dites prophétiques, l’hagiographie, pourrait-on
sous-entendre, démontre la transmission de la spiritualité prophétique par les
saints37. Apologétique et hagiologie se croisent quand le texte illustre la
conformité des saints de Fès au modèle prophétique. Sans doute l’auteur espère
également retracer des modèles normatifs pour les soufis contemporains et pour
les générations à venir. Fournir une première référence écrite de la tradition
spirituelle de Fès dont les contours commencent à se concrétiser représente un
moyen idéal pour sa mise en valeur et permet de la consolider face aux milieux
hostiles et aussi face aux autres centres du monde musulman. En se référant
constamment aux expériences des saints orientaux, al-Tamīmī établit des
critères et des profils qui, tout en ayant une valeur universelle, représentent
autant de modalités d’une sainteté adaptée au contexte local. Ainsi, les
modèles qu’il trace, sont supposés établir une référence normative pour les
cercles soufis de Fès.
Nous
ne disposons malheureusement pas de l’introduction du Mustafād qui
aurait peut-être fourni des informations précieuses concernant les motifs de sa
rédaction. Les observations relevées ici permettent cependant quelques
affirmations générales. Si plusieurs éléments apparaissent comme déterminants,
à notre avis son intention est de mettre en évidence la tradition initiatique
de Fès face à l’hagiographie orientale et de fournir ainsi un support
d’enseignement initiatique référentiel. Le projet de consigner par écrit le patrimoine
spirituel des générations fondatrices du soufisme de la ville idrisside et
d’aligner ses protagonistes sous les autorités orientales semble tout à fait
cohérent avec le parcours personnel d’al-Tamīmī et le moment historique. En
second lieu, la volonté de montrer le fondement prophétique de cette sainteté,
soit pour des raisons apologétiques soit pour fonder une hagiologie normative
pour le soufisme en terre marocaine, apparaît clairement.
Première
référence écrite pour l’hagiologie de la ville de Fès, l’importance de cet
ouvrage pour le sujet de notre étude nécessite de porter un regard approfondi
sur le contenu et d’analyser quelques passages représentatifs afin de mettre en
évidence l’aspect initiatique du Mustafād.
Les
passages choisis ne reflètent aucun ordre chronologique ou thématique, mais
permettent d’obtenir une idée plus immédiate du style de l’ouvrage et de la
façon dont il présente le milieu soufi de Fès dans sa période formative. Mais,
avant tout, il s’agit de donner l’aperçu d’un enseignement spirituel. Si la
recherche scientifique s’est concentrée sur l’aspect anthropologique et
historique de la littérature hagiographique, le Mustafād procède bien
évidemment d’une intention différente. La traduction de quelques extraits
permettra de mieux suivre la méthode de l’auteur.
Nous
commençons par traduire la notice consacrée à ‘Alī b. Ismā‘īl Ibn Ḥirzihim (m.
559/1162), un des maîtres d’Abū Madyan, placée au début du livre. Elle
constitue la biographie la plus étendue de l’ouvrage, ce qui montre
l’importance que l’auteur lui accorde.
« Et parmi eux il y avait le faqīh Abū al-Ḥasan ‘Alī b. Ismā‘īl
Ibn Ḥirzihim, que Dieu nous fasse profiter de sa bénédiction !
Il était bienfaisant, vertueux, dévot,
scrupuleux, renonçant [aux biens et honneurs de ce monde] et austère,
parcourant la voie du blâme, alors que personne ne connaissait cette voie au
Maghreb. Les gens du pays critiquaient certains de ses états, mais à cause de
sa sincérité les coeurs inclinaient vers lui.
Je l’ai connu et fréquenté assidûment.
Il vénérait la science s’acquittant de son droit et de son rang, tout en se
retenant [d’utiliser] le pouvoir [que la science lui conférait]. Son âme était
noble, montrant l’humilité vis-à-vis des pauvres et je n’ai jamais vu quelqu’un
de plus détaché [de ce monde-ci]. Les qualités se réunissaient en lui comme en
personne d’autre, que ce soit la compréhension des questions légales, la
compréhension des hadiths, la connaissance de l’exégèse coranique ou le
soufisme (al-taṣawwuf). Quant à
l’enseignement de la Ri‘āya [li-ḥuqūq Allāh] et d’al-Muḥāsibī,
personne ne pouvait l’égaler dans le scrupule, le renoncement dans ce monde, la
rudesse de l’habillement, l’indulgence et la bonté du caractère. D’une
apparence avenante et paisible, les coeurs étaient tous d’accord par rapport à
l’amour qu’ils lui portaient et tous ceux qui le rencontraient éprouvaient un
profond respect à son égard. Il accueillait les grands et les petits, répondait
à celui qui l’appelait, n’éprouvait de la rancune vis-à-vis de personne et ne
se donnait pas des airs importants. […]
Le cheikh Abū ‘Abdallāh Muḥammad, le
fils de son frère, le faqīh Abū
al-Qāsim et plusieurs personnes parmi les gens du pays m’ont rapporté que la
cause qui le poussa à abandonner ce monde et à y renoncer était que lorsque son
père, que Dieu lui fasse miséricorde, décéda, il lui légua son héritage, ainsi
qu’à son frère, le faqīh Abū
al-Qāsim mentionné. […] Lorsque le faqīh
Abū al-Ḥasan [Ibn Ḥirzihim] s’apprêta à accomplir sa litanie nocturne,
sa pensée était occupée avec l’héritage et la partie qui revenait à lui et à
son frère jusqu’à ce qu’il ne sache plus combien il avait prié. Son for
intérieur (sirr) restait occupé
par cela [toute la nuit]. Quand il se leva le matin, il fit appeler son frère
Abū al-Qāsim et lui dit : "Sois témoin que je te lègue ma partie de
l’héritage paternel". Son frère lui répondait : "Ne le fais pas
!". Alors il dit : "Si tu ne fais pas [ce que je te demande], je
léguerai tout aux lépreux !". Quand son frère vit sa ferme résolution, il
se prêta témoin et accepta de recevoir sa partie de l’héritage.
Cette anecdote montre l’étendue de sa
connaissance de Dieu, exalté soit-Il, car le connaissant par Dieu garde et
inspecte son coeur et s’il trouve qu’une affaire mondaine le préoccupe, il
s’empresse d’ôter cette affaire de son coeur pour qu’il puisse se diriger vers
sa prière et l’entretien intime avec son Seigneur tout en ayant le coeur
[disponible et] vide. Ceci [s’impose] en raison du hadith « Dieu S’oriente vers
le serviteur qui prie tant que celui-ci se dirige vers Lui avec son coeur ».
Lorsque le coeur paît dans les champs de ce monde, Dieu S’en détourne. »38
Le
début de cette biographie est centré sur les deux vertus du renoncement (zuhd)
et de la bonté du caractère (ḥusn al-khuluq), bien que la notion
capitale de la connaissance par Dieu apparaisse, ainsi que le rôle du coeur. Le
commentaire d’al-Tamīmī met en évidence le fait que les deux vertus, qui
d’ailleurs occupent une place importante dans la tradition prophétique39, ne
sont que les signes extérieurs de la connaissance spirituelle (al-ma‘rifa)
qui elle, relève véritablement de la pureté du coeur. L’enseignement
initiatique de l’auteur s’annonce ici comme étant basé sur l’équilibre entre la
pratique extérieure et le travail intérieur de l’aspirant, tout en affirmant la
priorité qui doit être accordée à ce dernier. Il n’est pas possible de
développer ici tout ce qu’implique ce passage du point de vue de l’enseignement
soufi, mais notons que l’insistance sur l’aspect intérieur et contemplatif de
la sainteté montre clairement la vocation initiatique du livre.
Un
autre élément digne d’intérêt est le respect de la science, qu’elle soit
conventionnelle ou spirituelle. La notion du « droit » (ḥaqq) qui
revient à la science fait allusion à l’idée qu’elle indique une « limite » que
le saint doit garder pour ne pas courir le risque de divulguer le secret
initiatique40. La remarque concernant la voie du blâme est, comme nous l’avons
déjà signalé, difficile à interpréter, puisqu’elle semble contredire le souci
apologétique d’al-Tamīmī. D’autre part, on peut considérer que l’anecdote sur
le renoncement de l’héritage est l’illustration évidente de cette voie, car Ibn
Ḥirzihim renonce à son héritage afin de blâmer son âme pour la distraction dans
la prière.
Les
anecdotes qui suivent illustrent les qualités spirituelles énumérées dans
l’introduction du personnage et al-Tamīmī en fournit parfois des explications
en ajoutant ses propres commentaires ou en intégrant des extraits hagiographiques
tirés des sources orientales. C’est une façon de procéder qui se poursuit dans
le reste du Mustafād et qui permet de développer un enseignement
spirituel très riche.
« Parmi
eux, il y avait le cheikh Abū al-Ḥasan al-Zarhūnī41, que Dieu lui fasse
miséricorde !
Il était
parmi les éminents dévots (al-‘ubbād) et parmi les ascètes (al-zuhhād)
d’un haut degré. Renonçant à ce qu’il avait, il se retirait vers Dieu et Dieu
l’a mis à l’abri, il se remettait à Dieu et Dieu l’a satisfait ! Il pleurait beaucoup
et s’adonnait à la récitation du Coran, étant triste au point qu’on ne le
voyait sans qu’il semblât qu’un malheur lui fut arrivé. Abū ‘Alī al-Daqqāq42,
que Dieu lui fasse miséricorde, a dit : "Le compagnon de la tristesse
franchit dans la voie de Dieu dans un mois ce que celui qui en est dépourvu ne
franchit qu’en plusieurs années". Dans la tradition prophétique il est dit
que Dieu aime tout coeur triste. Notre cheikh le faqīh Abū Ḥafḵ43 nous
chantait dans l’enceinte sacrée de La Mecque, que Dieu accroisse sa noblesse :
"J’ai
interrogé mon médecin [divin] à propos de mon remède et Il m’a dit : / Meurs et
tu seras sauvé ou vis et sois triste / Car si tu meurs par amour ardent pour
Moi, tu triompheras de Mon paradis / Et si tu vis dans la tristesse, Je te
compterai parmi les excellents ! "
De la
même façon l’aspirant doit être triste tout au long de ses journées dans ce
monde et la tristesse ne doit pas le quitter jusqu’à ce qu’il contemple la
présence du Majestueux dans la demeure de la singularité par l’oeil de
l’éternité. Dieu dit [dans le Coran] : Louange à Dieu qui a dissipé notre
tristesse !44.»45
Al-Tamīmī
évoque d’abord les actes et les pratiques du saint pour ensuite traiter de son
état spirituel, la tristesse (al-ḥuzn), et ajouter ses propres
explications. Il s’agit donc d’une progression de l’extérieur vers l’intérieur
qui est une façon de présenter un type d’expérience et de méthode spirituelle.
La tristesse constitue un chapitre de la Risāla d’al-Qushayrī et fait
partie du vocabulaire technique du soufisme depuis le début. La phrase « il
était triste au point qu’on ne le voyait sans qu’il apparaisse comme si un
malheur lui était arrivé » apparaît ainsi dans la Risāla46 à propos
d’al-Ḥasan al-Baḵrī (m. 110/728), le fameux saint des premières générations.
L’explication de l’auteur du Mustafād montre qu’il ne se limite pas à
recopier les passages des ouvrages orientaux. Ainsi il développe la notion de
tristesse et explique son rôle dans le cheminement spirituel, alors que dans le
texte d’al-Qushayrī on ne trouve que des sentences. Le saint évoqué par
al-Tamīmī incarne en quelque sorte cet état spirituel et sa pratique, ses
traits de caractère et son mode de vie représentent les moyens de le réaliser.
« Et parmi eux il y avait (Abū)47 Ḥajjāj b.
Yūsuf al-Kandarī qui habitait à Fès, que Dieu lui fasse miséricorde !
Le cheikh
Abū al-Ḥajjāj Yūsuf m’a rapporté qu’il était une fois touché par une terrible
famine et que, d’une nuit à l’autre, il ne trouvait pour nourrir qu’une galette
d’orge. Il se dit à lui-même au cours d’une de ces nuits : "Parmi ma
famille et mes enfants, personne ne peut se rassasier, mais moi je suis capable
d’endurer patiemment (aṣbir), donc je vais leur offrir (ūthir) ma
portion". Ensuite il donna sa portion à son épouse et alla se coucher. Il
vit alors en rêve qu’on lui donnait un bol de potage et qu’on lui disait :
"Mange ! " Il mangea alors le potage jusqu’à être rassasié et quand
il se réveilla, il se trouva fort et rassasié. Quand la deuxième nuit s’approcha,
il offrit encore sa portion à son épouse et il fut nourri également dans son
rêve comme dans la première nuit. Cette situation continua ainsi un mois ; il
donnait sa portion à son épouse et était nourri dans son rêve, jusqu’à que ce
la famine cessa et qu’il n’eût plus besoin qu’on lui donnât de la nourriture.
Lorsqu’on
lui offrait de la nourriture dans laquelle il y avait quelque chose de douteux,
il était averti et empêché de la consommer. C’est la station spirituelle d’al-Ḥārith
b. Asad al-Muḥāsibī, que Dieu lui fasse miséricorde !»48
Le
passage qui suit provient de la Risāla d’al-Qushayrī et rapporte une
anecdote qui montre comment al-Muḥāsibī avait la capacité surnaturelle de
reconnaître la nourriture d’origine douteuse. La référence au milieu bagdadien
où s’est cristallisé le soufisme « classique » est ici, comme dans maints
autres passages, explicite. La remarque que ce saint a atteint la station
spirituelle d’al-Muḥāsibī, une des figures majeures du soufisme, est tout à
fait significative, surtout si on considère la popularité de la Ri‘āya au
Maghreb. Le wara‘ (« scrupule ») apparaît ici, comme dans de nombreux
autres passages, comme une vertu cardinale permettant d’accéder aux plus hautes
stations initiatiques. L’anecdote du miracle de la nourriture montre comment la
pratique des vertus spirituelles est accompagnée par l’assistance divine. Les
deux vertus dont il est question, la patience (al-ṣabr) et l’altruisme (al-īthār),
forment deux chapitres dans la Risālat al-Qushayriyya, mais sont
également des notions coraniques49.
« Et
parmi eux il y avait le cheikh Abū ‘Abdallāh Muḥammad al-Tawdī50 qui enseignait
le livre saint de Dieu et était un homme saint et dévot, adonné à l’ascèse ; se
contentant de peu de ce monde, il faisait preuve de renoncement. Des preuves (barāhīn)
et des grâces surnaturelles lui sont apparues. Je l’ai connu et je l’ai
fréquenté auprès du cheikh Abū Madyan, que Dieu lui fasse miséricorde ! »51
Le récit
se poursuit en relatant la multiplication miraculeuse d’un tissu au cours de la
confection des vêtements d’une famille pauvre grâce à l’intervention du saint.
La multiplication est en effet un type de miracle prophétique dont le Qāḍī ‘Iyāḍ
rapporte différentes versions dans son Shifā52. Ce genre de récits met
en valeur, entre autres, la baraka (« bénédiction ») du personnage et
joue un rôle important dans la popularisation de la sainteté.
Pour conclure cet aperçu, remarquons qu’en
considérant la ressemblance des saints de Fès et ceux de l’Orient, il est
légitime de se demander qu’est-ce qui a poussé al-Tamīmī à rédiger un nouveau
traité, au lieu de se contenter des ouvrages orientaux qui ont été introduits
par les savants tunisiens. L’analyse de ces quelques passages fournit une
réponse possible en montrant la contribution personnelle de l’auteur du Mustafād.
L’enseignement oriental, a-t-il sans doute estimé, exigeait une adaptation au
contexte de Fès. Al-Tamīmī veut éviter de traiter l’enseignement initiatique
comme une science ou école (le madhhab dont parle al-Kalabādhī53 p. ex.)
à part et montrer à l’instar d’al-Ghazālī que les saints ne sont tels qu’en
fonction de leur assimilation et intériorisation de l’enseignement islamique.
1 C’est notamment
la vocation des écrivains comme les Qādirī, voir infra.
2 Cf. par exemple l’hagiographe d’Idrīs II, al-Ḥalabī (al-Durr
al-nafīs, p. 12), et al-Kattānī (Salwa, vol. I, p. 4).
3 « Ecriture hagiographique et modèles de sainteté dans
l’Ifriqiya Ḥafḵide (VIIIe-IXe/XIVe-XVe siècle) d’après trois recueils de manāqib
», Les Cahiers de Tunisie, Tunis : Faculté des Sciences Humaines et
Sociales, n° 173, 1996, 2e sem., p. 14. 4 2 vol., CHERIF, Mohamed (éd.), Tétouan : Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Tétouan, 2002.
5 Nous abordons la biographie de cet auteur dans la deuxième partie (voir chap. IV, 2).
6 Op. cit.
7 ADDAS, Claude, Ibn ‘Arabī ou la quête du soufre rouge, Paris : Gallimard, 1987, p. 165-166.
8 CORNELL, Vincent, op. cit., p. 68-69, p. 99-100.
9 HONERKAMP, Kenneth, « Tamīmī’s Eyewitness Account of Abū Ya‘zā Yallanūr », Tales of God’s Friends, RENARD, John (dir.), Berkeley : University of California Press, 2009, p. 30-46.
10 Voire la première partie de notre recherche (« Aperçu historique »).
11 CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 170.
12 GEOFFROY, Éric, loc. cit., p. 90-92.
13 CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 180-192.
14 Ibid., p. 194-200.
15 Cf. Uns al-Faqīr, p. 58.
16 Cf. CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 202-203.
17 Op. cit., p. 3-12.
18 Cf. CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 204-206, où l’auteur réunit les passages qui font allusion au taṣawwuf. Dans les mêmes pages il remarque l’importance de l’Iḥyā’ comme référence principale des soufis mentionnés dans le Mustafād. Le projet du magnum opus d’al-Ghazālī d’établir « la science de l’au-delà », c'est-à-dire le soufisme, comme principe et finalité des sciences religieuses (cf. GARDEN, Kenneth, al-Ghazzālī’s contested Revival – Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn and its critics in Khorasan and the Maghrib, thèse de doctorat, University of Chicago, 2005) correspond en quelque sorte au motif plus ou moins implicite du Mustafād de qualifier les saints comme les véritables transmetteurs de l’héritage prophétique.
19 Mustafād, p. 15.
20 Ibid.
21 Ibid, p. 143.
22 Cf. THIBON, Jean-Jacques, L’oeuvre d’Abū ‘Abd al-Raḥmān (325/937-412/1021) et la formation du Soufisme, Damas : IFPO, 2009, p. 45 sq.
23 Cf. CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 159-160. L’auteur distingue deux types de miracles rapportés dans le Mustafād : ceux concernant la nature et ceux concernant les hommes et les animaux. Il ajoute aussitôt que les récits d’al-Tamīmī restent toujours assez sobres et qu’il ne s‘étend pas excessivement sur les aspects surnaturels de ces derniers, car ce qui l’intéresse davantage ce sont « les qualités et les attributs subtils qui indiquent le mérite » des saints.
24 « Les traditionnels développements sur les faveurs surnaturelles que contiennent toutes les monographies de saints répondent au dessein d’extérioriser de façon optimale la sainteté » (GEOFFROY, Éric, loc. cit., p. 86).
25 C’est donc la « fonction édifiante » du miracle (cf. AIGLE, Denise, « Le statut du miracle dans l’islam », Annuaire EPHP, Section des sciences religieuses, 1996-97, n° 105, p. 286-287) qui est mis en avant.
26 Cf. RENARD, John, Friends of God, op. cit., p. 95-98. Les miracles du Prophète forment dans le fameux Kitāb al-shifā’ du Qāḍī ‘Iyāḍ un argument important en faveur d’une spiritualité centrée sur la figure prophétique. Al-Tamīmī, on l’a vu, a fréquenté les disciples du Qāḍī ‘Iyāḍ à Sabta et a sans doute subi l’influence de ses idées. Il mérite d’être remarqué à ce propos que dans la littérature religieuse les miracles constituent entre d’autres une façon de rendre palpable à un public populaire l’élection divine d’un personnage ainsi que la puissance de son aspiration spirituelle - ou si on veut, son « charisme » -, sans pourtant en constituer un critère. Cf. GEOFFROY, Éric, « Attitudes contrastées des mystiques musulmans face aux miracles », Miracle et karāma, Hagiographies médiévales comparées 2, AIGLE, Denise, (dir.), Turnhout : Brepols, 2000, p. 301-316 ; GRIL, Denis, « Le miracle en islam, critère de la sainteté ? », Saints orientaux, Hagiographies médiévales comparées1, AIGLE, Denise (dir.), Paris : De Boccard, 1995, p. 69-81.
27 Riyāḍ al-nufūs fī ṥabaqāt ‘ulamā’ al-Qayrawān wa al-Ifrīqiyya, 2 vol., Beyrouth : Dār al-Gharb al-Islāmī, 1981. L’ouvrage a été partiellement traduit par Hady Roger Idris (« Contribution à l’histoire de l’Ifriqiya d’après le Riyâd an-nufûs d’Abû Bakr al Mâlikî », Revue des études islamiques, 1969, n° XXXVII, p. 117-149). Selon M. Cherif (cf. op. cit., vol. I, p. 168), c’est cet ouvrage qui a le plus inspiré l’auteur du Mustafād quant au style et à la terminologie. Ce dernier manque toutefois l’orientation savante et juridique du Riyāḍ al-nufūs qui concerne avant tout les fuqahā’.
28 C’est un des hypothèses qu’avance V. Cornell pour expliquer la naissance de l’hagiographie marocaine (cf. op. cit., p. 1-5). Cf. aussi à ce propos GRIL, Denis, « Le saint et le maître ou la sainteté comme science de l’homme, d’après le Rûh al-quds d’Ibn ‘Arabî », Saint et sainteté dans le christianisme et l’islam. Le regard des sciences de l’homme, AMRI, Nelly, GRIL, Denis, (dir.), Paris : Maisonneuve et Larose-MMSH, 2007, p. 60.
29 Cf. l’introduction de ce chapitre.
30 Mustafād, p. 76.
31 Dans les premiers ouvrages hagiographiques comme les Ṥabaqāt d’al-Sulamī et la Ḥilyat al-awliyā’ d’al-Isfahānī, la transmission des hadiths apparaît comme une marque de la sainteté.
32 Op. cit., vol. I, p. 159.
33 Des termes plus spécifiquement soufi qu’on trouve notamment dans la Risāla d’al-Qushayrī comme sukr/ṣaḥw (« ivresse/sobriété »), qabḍ/basṥ (« contraction/dilatement »), jam‘/farq (« union/ séparation ») ou fanā’/baqā’(« extinction/subsistance ») ne sont pas employés. La figure du Khiḍr apparaît dans quelques anecdotes, ce qui présuppose la connaissance du rôle initiatique de ce personnage.
34 Ḥāqā’iq (« les vérités spirituelles ») est employé seulement une fois, ainsi que wujūd (« être, existence »). Il n’est pas question du tawḥīd al-khāṣṣ (« la doctrine de l’unité de l’élite ») comme on le rencontre chez un Junayd p. ex., ni du tajallī (« théophanie ») si important chez Ibn al-‘Arabī, bien que l’auteur connaît sans doute l’enseignement de ces deux personnages.
35 Il est bien sûr sous-entendu que cette tradition spirituelle soit en effet encore assez hétérogène et peut-être est-il trop tôt pour parler d’une tradition qui soit propre à Fès, vu l’influence andalouse et celle du soufisme rural. Néanmoins, il nous semble légitime de s’y référer en raison de la centralité d’Abū Madyan qui intègre les plus importants parmi ces courants, sans oublier les Ibn Ḥirzihim et le rôle de Fès comme centre d’étude de l’Iḥyā’.
36 Plus que la moitié des récits sont des témoignages directs d’al-Tamīmī lui-même, alors qu’un tiers a été recueilli oralement par l’auteur. Seulement 5 % des anecdotes proviennent des sources écrites (cf. CHERIF, Mohamed, op. cit., vol. I, p. 146-152).
37 C’est naturellement une caractéristique de toute la littérature hagiographique musulmane, cf. GEOFFROY, Éric, « Entre hagiographie et hagiologie – Les Laṥā’if al-minan d’Ibn ‘Aḷā’ Allāh », ANISL, Le Caire : IFPO, 1998, n° 32, p. 50.
38 Mustafād, p. 15-17.
39 Cf. AL-QĀḌĪ ‘IYĀḌ, Abū al-Faḍl, al-Shifā bi-ta‘rīf ḥuqūq al-Muṣṥafā, Beyrouth : Dār al-Fikr, 1988, p. 96-147.
40 Dans l’Iḥyā’ (« Kitāb al-‘aqāid », ch. II), ouvrage préféré des Ibn Ḥirzihim, al-Ghazālī s’étend particulièrement sur ce point.
41 Nous n’avons pas pu trouver des informations biographiques à propos de ce personnage.
42 Mort en 405/1015 ou 412/1021, c’est le maître d’al-Qushayrī qui le cite fréquemment dans sa Risālah.
43 Nous ignorons l’identité de ce personnage. Cf. la note de M. Cherif, op. cit., vol. II, p. 175.
44 Coran, XXXV : 34.
45 Mustafād, p. 175.
46 AL-QUSHAYRĪ, Abū al-Qāsim, al-Risālat al-Qushayriyya, Le Caire : Dār al-Sha‘b, 1989, p. 256.
47 Il
n’est pas très clair si le « Abū » fait partie de son nom ou pas, car al-Tamīmī
le mentionne parfois avec et parfois sans.
48 Mustafād,
p. 111-112.
49 Cf. p. ex. Coran, III :
200 pour le ṣabr et IX : 59 pour l’īthār.
50 Mort
en 580/1184 à Fès, c’est un disciple d’Ibn Ḥirzihim. Il est enterré à Fès à
l’extérieur de Bāb ‘Ajīsa. Cf. Tashawwuf, p. 272-275 ; Salwa,
vol. III, 136-139 ;
51 Mustafād,
p. 137-138.
52 Cf.
AL-QĀḌĪ ‘IYĀḌ, Abū al-Faḍl, op. cit., p. 291-298.
53 Cf. AL-KALABĀDHĪ, Muḥammad Abū Bakr, al-Ta‘arruf
li-madhhab al-taṣawwuf, Le Caire : sans éd., 1960 (trad. par Roger
Deladrière : Kalâbâdhî – Traité de soufisme, les maîtres et les étapes,
Arles : Actes Sud, 2005).
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